Lily-Rose inspire. Profondément. Elle ne doit pas s’énerver, même si elle en a très envie. Même si ça la démange terriblement. Même si la seule chose dont elle a envie, là, maintenant, tout de suite, c’est d’insulter copieusement son fauteuil. Surtout le moteur dudit fauteuil. Petit cadeau de noël de l’année dernière. Et à cause duquel Lily-Rose est bloqué en périphérie du palais, incapable d’avancer malgré ses efforts répétés.

Son moteur a rendu l’âme dans un bruit inquiétant et a de toute évidence abîmé les roues au passage. Génial. Lily-Rose ne peut pas constater l’étendu des dégâts depuis sa position. Il faudrait qu’elle s’extraie de son fauteuil et rampe dans les feuilles mortes pour pouvoir le faire. Cela ne lui semble pas une idée judicieuse.

Comble de malchance, il n’y a personne dans les environs, et les nuages noirs s’accumulent à l’horizon et se rapprochent. Quelque part au loin, l’orage finit par éclater. Et Lily-Rose aussi. « Et merde ! Moteur à la con ! C’est la dernière fois que j’en installe un. Le prochain qui m’en propose un ira se faire foutre ! » Et ça continu comme ça un petit moment, ponctué parfois par le bruit du tonnerre, un peu plus loin. « Et ta gueule l’orage !! Je suis assez dans la merde comme ça, pas besoin d’en rajouter... »

Lily-Rose en a marre. Marre de beaucoup de choses. En l’occurrence, marre de son fauteuil roulant, qui la prive de trop de liberté à son coup. Marre aussi de la météo, qui a décidé de ne pas l’aider. De lui pourrir encore plus sa journée. Et puisqu’elle est seule, et bloquée, Lily-Rose laisse aller sa colère. Celle qu’elle garde habituellement en elle.

Jusqu’à ce qu’elle soit interrompue. « On peut savoir ce que tu fous à hurler comme ça ? Tu n'aimes pas le tonnerre ? »

J’ai l’air d’aimer le tonnerre, crétin ?!

Lily-Rose ravale ses mots. Ce n’est pas de sa faute, il n’y est pour rien. Ca ne calme pas sa colère, mais au moins, elle ne se montre pas incivilisée. Pas trop. Elle se pince l’arête du nez dans une vaine tentative de se contenir. Mais c’est mort. « Je hurle parce que j’en ai marre de la météo de ce pays et de ce foutu fauteuil. Voilà, content ?! » Définitivement mort. Lily-Rose est hargneuse. A croire qu’elle aurait put mordre, si quelqu’un avait approché sa main d’un peu trop près.

Lily-Rose s’en rend compte. Et essaye de parler un peu plus calmement. « Pardon. Je suis… un peu énervée. C’est pas de ta faute. » Doux euphémisme.

« Un peu ? » Lily-Rose lui envoie un regard sombre. Pas exactement méchant, mais qui reflète bien son état d’esprit actuel. Et ne dit rien. Elle ne fait pas de commentaire. Certes, c’est un peu plus qu’un peu. Mais Lily-Rose n’a pas l’habitude d’avouer qu’elle est en colère. Elle n’a même pas l’habitude de montrer qu’elle est en colère. Son habitude à elle, c’est de cacher le fait que parfois, elle a vraiment envie de hurler de rage en fracassant des vases sur le sol. A tous les coups, ça doit faire du bien.

« C'est quoi ? Le moteur à lâcher ? » Lily-Rose tourne la tête autant qu’elle le peut tandis que Tim s’approche de l’arrière de son fauteuil pour faire ce dont elle est actuellement incapable : regarder le moteur. « Je crois bien. Et il a évidemment choisit le pire moment possible ! » Mais Lily-Rose espère tout de même que ce ne soit pas si grave. Peut-être qu’il n’est pas si mort que ça ? Peut-être qu’en le trifouillant un peu, il pourrait redémarrer ? Peut-être que-

« Ton fauteuil est mort. Y'a même un des rayons qui s'est pété. » Fuck.

C’est le deuxième fauteuil qu’elle va devoir remplacer depuis qu’elle est à Blenheim. Le premier ayant brûlé lors de l’incendie qui avait ravagé les dortoirs l’année précédente. « Bordel. » C’est la seule chose qu’elle trouve à dire sur le moment.

La pluie qui se met à tomber juste après n’arrange rien. Pour l’instant, ce ne sont encore que quelques gouttes éparses. C’est dérangeant et froid, mais ce n’est pas assez pour la tremper. Pour l’instant. « Par pitié, dis-moi que ça ne va pas se transformer en averse… »

Lily-Rose a presque un regard suppliant alors qu’elle regarde Tim. Elle prie pour que ça ne devienne pas un orage. Autrement, elle sera bonne pour une douche à 10°C. Cependant, à la tête que fait le jeune homme, il est clair que ses espoirs sont vains. « Ça va se transformer en averse. Désolé. »

Super…

Et comme si l’orage n’attendait que cela, il éclate presque au moment où la nouvelle tombe. Timing à la con. « Merde. » Ouais. Merde. Lily-Rose n’aurait pas dit mieux. Elle a le réflexe de vouloir courir, juste avant de se rappeler qu’elle ne peut pas courir. Jambes de merde tiens. Vivement qu’elle puisse de nouveau marcher…

« Tu vas devoir t'accrocher, à moins que tu préfères rester ici. » Lily-Rose regarde Tim en se demandant s’il est sérieux. Il a l’air sérieux. Il est sérieux. Ah. C’est gênant. Mais Lily-Rose n’a pas non plus envie de finir totalement trempé, ni se de retrouver toute seule sous un orage sans moyen de bouger ou de contacter quelqu’un. Alors, après un cours moment d’hésitation, elle finit par donner son accord. « Okay… Prêt ? »

S’aidant de ses bras, Lily-Rose s’extrait de son fauteuil. Et puisque ses jambes sont incapables de la porter, elle n’a pas vraiment d’autre choix que de se laisser tomber sur le dos tourné vers elle. Avec plus ou moins de douceur. « How. Désolée. Je ne pouvais pas faire plus doucement. » Ou en tout cas, pas sans se vautrer lamentablement par terre en l’entrainant possiblement avec elle au passage.