Si on lui avait dit qu’un jour, il aurait besoin d’aller acheter lui-même des fournitures pour l’infirmerie de l’école.

Reyn pourrait certainement remettre en cause le travail de la personne chargée du réapprovisionnement - pardon, il le faisait. Le travail mal fait est une chose qui lui faisait horreur, surtout lorsque cela risquait de les faire passer pour des incapables, donc de ternir sa réputation. Cependant même lui devait bien admettre qu’ils avaient tous été pris de cours ; allez savoir si c’était à cause de la rentrée ou d’une maladresse contagieuse, mais le flot de petits blessés et grands malades n’avait cessé de la semaine. Résultat ? Ils n’avaient presque plus de compresses ni d’anti-douleurs.
Ce qui n’excusait absolument pas l’incompétence de son collègue.

Ayant perdu espoir que quiconque ne passe à l’action, le jeune homme avait fini par proposer au médecin scolaire de se rendre en ville pour renflouer les stocks - une initiative chaleureusement saluée par l’équipe. Autant l’avouer, il s’était demandé s’ils n’avaient pas attendu qu'une noble âme se propose.
Quoi qu’il en soit, le voilà désormais dans les rues de Fosterhampton.

L’avantage avec les petites bourgades de ce type, c’est que même le samedi après-midi, les rues n’étaient pas bondées ; certes il y avait un peu plus de monde, mais ça restait respirable. Reyn préférait largement cela au pèle-mêle de Londres, se faire bousculer et marcher sur les pieds tous les dix mètres lui était insupportable. Tandis qu’ici il pouvait aller à la pharmacie et en ressortir sans trop patienter, ni manquer d’étrangler quelqu’un.

Le brun repartait avec ses emplettes sous le bras, non mécontent d’avoir mis si peu de temps, lorsqu’il sentit soudainement qu’on lui passait un bout de bras autour du cou et…. Qu’on s’écrasait contre son dos.
Ok. Bon. Y’a au moins une personne qui s’amusait aujourd’hui. Ou qui avait des penchants masochistes. Quoique les deux n’étaient pas incompatibles.  
Pour limiter tout accident, notre Hellhoud s’immobilisa immédiatement avant de se retourner doucement avec un air surpris. Qui se transforma vite en air blasé quand il reconnut son agresseur.

“Je peux savoir à quoi tu joues ?”

Mais où était passé son masque du parfait gentilhomme ?! Allons, s’il devait le maintenir devant tout le monde, ce ne serait pas drôle.
En l’occurrence, face à Connor de Péval, son masque était parfaitement inutile. Entre acteurs on a le droit d’être un peu plus honnêtes, surtout lorsqu’on se connaît depuis un moment.

Mince.
Pourquoi ce type était aussi grand.
Soupir las, yeux fixés vers ceux qui venaient de se tourner vers lui ; Connor dirigea toute son attention vers ce dit compagnon. Reyn. Un vrai amour, ce type.
» Je peux savoir à quoi tu joues ?
Oh rien. Juste un back hug qu’il espérait finir en head lock qu’il espérait conclure en mort par suffocation. Rien de bien grave en somme ; juste assez marrant pour qu’ils puissent en rire après. Enfin, pour que l’un d’eux puisse en rire, pour être plus exact. Le faux-blond se contenta alors de sourire ; ce même sourire angélique qui pardonnait tous ses péchés mais qui devant Reyn sonnait aussi faux que leurs deux personnes réunis. Avait-il déjà précisé que l’infirmier était un véritable amour ?
» Je me contentais de maudire la génétique et ton f-cking 186cm avec.
Poli était une de ses plus grandes qualités. Comme le fait d’être précis ; même beaucoup trop. L’avait-il stalké ? Non, il avait juste beaucoup d’informations. Sur tout le monde. Même s’il ne le criait pas forcément sur tous les toits. Le français se décala, arrangea ses vêtements froissés et reposa son regard sur le brun. Puis sur les achats de l’autre. Et il se permit, sans gêne de découvrir ce qui était à l’intérieur. Le contenu le satisfit.
»  Tu fais du trafic d’instruments médicales, maintenant ? Et tu ne me contactes même pas ?
Son timbre de voix avait pris une tournure dramatique, exagérée et profondément outré d’être ainsi mis à l’écart. Il ajusta ses mèches blondes qui venaient lui obscurcir la vue et baissa légèrement son masque sanitaire, assez pour se faire un peu plus entendre à travers la foule.
» Ou alors, c’est un cadeau pour moi ? Oh my. Tu n’aurais pas du. Tu sais que je me sers déjà dans tes affaires.
Aha Reyn ...
He loves this guy.

Reyn ne put s’empêcher de sourire à son tour, avec au moins autant d’hypocrisie que son vis à vis. “Serait-ce de la jalousie que j’entends dans ta voix ?” De rien, c’était gratuit.
Oh hé, il n’appréciait pas spécialement qu’on s’essaie au headlock sur lui (trop familier à son goût). Ce n’était qu’un juste retour des choses.

Cela dit, pouvoir se permettre ce genre de remarque de temps à autre n’était pas pour lui déplaire. Rien que pour cette liberté, le brun appréciait la compagnie de Connor. Après tout s’il se mettait à lancer des piques à tout va tout son travail partirait en fumée ; ce n’est qu’auprès de rares personnes qu’il se l’accordait. Si le blond devait s’estimer heureux d’appartenir à cette minorité ? Bof, pas sûr que ce soit un réel avantage. Mais un privilège, ça oui. Donc à la limite il pouvait se sentir flatté.

Par la suite, le plus jeune saisit d’un geste rapide les bords du sac pour en examiner le contenu. Reyn s’éloigna instinctivement, n’appréciant pas les fouilles impromptues, mais trop tard. La réflexion suivante l’agaça quelque peu, bien qu’il n’en montra rien. Elle lui rappelait un peu trop ce récent poste de Queen qui avait bien failli le mettre dans l’embarras. Heureusement qu’il était préparé à toutes sortes d’éventualités. “Es-tu obligé de me rappeler ma dette envers Queen ?” Tandis que le Hellhoud posait cette question, Connor abaissa son masque. La suite lui fut donc parfaitement compréhensible.

L’infirmier eut un sourire amusé. “Et tu n’ignores pas que je te laisse faire, en ajoutant chaque produit à ton ardoise.” Au cas où tu l'aurais oublié, laissa-t-il son ton suggérer. Sur ce il se mit en route, bien décidé à ne pas rester planté au beau milieu de la rue. Et puis n’oublions pas qu’il avait des emplettes à rapporter au Palais, autant ne pas traîner ou ses collègues risqueraient de s’inquiéter. Ou de se poser des questions.
Reyn vérifia du coin de l’œil que l’étudiant le suivait avant de reprendre la parole. “Que fais-tu par ici ? Aux dernières nouvelles tu préfères rester dans ta chambre à jouer aux jeux vidéos plutôt que de te promener seul en ville.”
Vive les asociaux, hein.
Mais c’est parce qu’ils se ressemblaient qu’ils parvenaient à se comprendre.