Le cours de sport était ton préféré, et ce depuis ton premier jour ici ; well, c'est le seul cours où t'as de bonnes notes. Ou la moyenne. Non parce que t'as difficilement la moyenne dans les autres matières. You're so stupid that's it. Mais là tout de suite, t'es en cours de sport, donc tu t'en sors, donc t'es happy bordel. T'échanges des rires, des remarques ; concentré sur les instructions du prof, amusé par tes potes. T'as tellement pas l'impression d'être le dernier des boulets quand t'es avec eux, quand t'es sur le terrain, quand tu penses pas trop, right. Du coup t'as la banane.

T'es genre focalisé sur ton truc quand le hurlement - que tu reconnais immédiatement - te fait très légèrement sursauter. Ton regard se porte vers la coupable, et ton visage affiche alors une expression de profonde exaspération.
Sérieusement, tu sais pas comment la gérer cette fille.
Mais t'y réfléchiras après, pour l'instant tu cours, tu ignores les regards moqueurs, tu vas avoir ta bonne note et après tu vas voir Luna.
Peut-être.
Ou tu vas fuir.
Peut-être.
Mais t'es occupé.
Crap.
En même temps c'est pas très correct de lui foutre des vents H24. Elle est pas méchante Luna, elle est juste lourde. Lourde et singulièrement perturbante. Genre t'as pas l'habitude de te faire stalker par une fille. C'est très très inhabituel.
Tu piques donc ton petit sprint tranquille (enfin non du coup) au coup de sifflet, réussis ton exercice tranquille (non plus), puis va t'affaler tranquille (là c'est bon). Et alors tu décides de méditer au problème "Luna", maintenant. Tu relèves les yeux et la fixe, même si elle est à une assez bonne distance tu devines aisément que la silhouette que tu observes est bien l'islandaise. T'hésites. T'hésites à te montrer poli et donc à aggraver ton cas (elle va croire qu'elle gagne des points help) ou à être froid voire un peu salaud avec elle (auquel cas c'est avec ta conscience qu'il faudra te battre).
Mais la vérité c'est que t'as déjà essayé les deux méthodes, et que les deux ont échoué.
Tu sais plus quoi faire.
D'habitude t'arrives un peu à te débrouiller avec les autres - tu devrais être psy, bla bla bla - mais, well, avec elle t'arrives à rien ! Quoique tu fasses elle continue. Un soupire s'échappe de tes lèvres et tu fermes les yeux une seconde, deux.
Someone, need help.

***
T'es prêt à t'enfuir dès que le prof vous en donnera l'autorisation. On dirait pas, mais il s'agit d'une mission de la plus haute importance !
La fuite.
T'as décidé de reporter le problème à plus tard.
Oui c'est lâche, oui t'emmerdes tout le monde.
Mais avant de fuir, il te faut ranger, alors tu t'y appliques le plus rapidement possible, mettant tout ton petit cœur à essayer de ne pas la fixer (déjà que vous êtes en cours ensemble why elle te suit jusqu'ici). T'es concentré sur ta tâche quand, finalement, une seconde d'inattention, ton regard croise le sien.
Oh no elle va croire à un signe.
Tu détournes rapidement la tête, déglutit ; réalise un truc.
Pour la première fois tu décides de relever nettement la tête pour la fixer, et notes un truc qui te perturbes. Parce que t'es con.
Un plâtre ?
Elle a fait ça comment encore ?
Tu ne ressens pas la moindre once de satisfaction à la voir blessée, qu'importe qu'elle te pompe l'air. Et le truc, c'est que, qu'importe combien tu peux la trouver gonflante, tu as remarqué (parce que tu remarques trop de trucs dans ta vie) qu'elle est souvent plâtrée. Ce qui est inquiétant en soi. Alors bon, well, faisons un effort (la curiosité et l'inquiétude oui) ; tu te racles la gorge, avises qu'elle n'est pas assez loin pour ne pas t'entendre si tu cries. Puis y a pas grand monde dans les gradins alors qu'ils se plaignent pas.
« Encore blessée Luna ? Qu'est-ce que t'as fait ? »
Délicatesse : 0. Au moins tu entames la conversation alors faut pas se plaindre.
(Omg tu pensais pas devenir aussi méprisant/hautain avec une fille un jour wow)

T'as un vrai souci dans ta vie : t'es trop (con) sympa. Pourtant, gosh ce qu'elle t'emmerde, ce qu'elle te pompe l'air et tout ; mais t'as pas pu t'empêcher. Parce que t'y es passé toi aussi, par les plâtres trop nombreux pour être bien normaux. Et peut-être, non, sans doute, te fais-tu trop facilement des films depuis. Tu sais voir ces choses-là, mais tu as aussi appris à être plus aisément inquiet des petits bobos des autres ; des gros, n'en parlons pas. Et même si Luna te gonfle profondément, tu peux pas t'en empêcher.
T'es comme ça, un point c'est tout.
OK, même si t'as un petit frisson de regret en voyant son immense sourire et en la voyant bondir de son banc.
Oh no don't move. Stp reste là-bas.
Elle obéit pas à ta prière muette.
Bon en même temps tu l'as cherché hein, t'as tapé la discute c'est normal qu'elle (espère) réponde. Au moins elle est polie.
Enfin t'espères qu'elle est polie, et que c'est pas juste parce qu'elle cherche un moyen d'attaque. T'as fini par comprendre qu'elle s'imaginait que t'étais son futur mari, pas de souci.
(Lol nope)
Elle arrive vers le bord, et de là, t'as qu'à relever la tête pour lui faire face. Elle te voit assez précisément pour que tu sois contraint de réfléchir sérieusement à ton comportement ; parce que t'es encore trop prévenant, tu te poses toujours des questions sur comment te comporter avec elle.
En même temps, d'habitude, tu te prends pas vraiment la tête. Mais d'habitude, t'as pas besoin de te prendre la tête. Luna c'est, euh, l'exception. Sans connotation positive pour sa personne tho.
« Hey ! Ca ? J’ai trébuché en courant. J’en ai pour quelques semaines de plâtre  ! »
... Elle a tellement l'air de s'en battre les couilles. Tu hausses un sourcil sous la surprise. On peut certes dire qu'elle est sans doute habituée (vu que tu la vois souvent plâtrée ?) mais de là à être aussi désinvolte c'est... au moins étrange. What the hell. Puis genre elle te dit ça comme ça, sans pression ?
« Oh, mal tombée ? Ouch. Courage. »
Pourquoi.
tu.
joues.
la.
compassion.
putain.
« Toi ça va ? T’as fais une belle course, c’était quoi ton temps cette fois ? Tu t’es amélioré ? »
Ah. Le retour. Etrangement, tu trouves ça vachement plus intéressant quand elle parle d'elle, pas de toi. Déjà parce que tu la trouves creepy, sans doute. Sauf que l'inviter à te parler d'elle n'est pas très tentant, ça ne l'inviterait que plus encore à se faire des films.
Déjà qu'elle a pas besoin de raison logique pour ça. T'es sûr qu'elle pourrait croire aux feuilles de thé en forme de pseudo cœur et penser que tu penses à elle.
Oh putain non svp. C'trop absurde.
Tu te râcles la gorge, songes subitement à comment fuir subtilement. (depuis quand t'es subtile déjà ?)
« Euh... Je sais plus. Mais, hm, merci. Ca va ouais. »
Tu sais plus trop quoi faire, si tu dois t'enfuir right now ou si ce serait trop impoli...
Attends, la survie c'est plus important que la politesse, non ?
Donc ça passe si tu prends tes jambes à ton cou genre, maintenant ?

Tu médites toujours à comment fuir. Ce serait vraiment trop étrange si tu faisais demi-tour d'un coup, en plein milieu d'une phrase, et que tu te mettais à courir. Pas que tu sois incapable de faire des trucs bizarres, mais là ça l'est peut-être un peu trop, même pour toi. Enfin non. Mais ça manque sérieusement de politesse.
...
Si tu te comportes comme un connard impoli, est-ce qu'elle va lâcher prise ? Mais genre vraiment, si t'es infecte au possible, pas juste quelques piques comme ça ?
...
Es-tu seulement capable de te comporter comme un salaud, de façon volontaire et consciencieuse ? Avec une fille qui puis est ? Oui parce que, on pourra te dire sexiste si on veut - ce qui serait con -, t'as du mal à être irrespectueux envers les femmes. Et ne parlons même pas de la violence. Si encore tu la considérais comme ta pote, tu la charrierais, n'aurais aucune gêne, aucun souci.
Sauf que tu peux décemment pas considérer ton stalker - oui - comme une pote. Tu veux juste qu'elle s'éloigne de toi, et ce le plus loin possible. Qu'as-tu fais dans une vie parallèle ? I want to be alooone, let me gooo.
Bref.
Tu veux mourir.
« T’es sûr ? T’as pas l’air trop bien. T’as de la fièvre ? Des courbatures ? T’as quoi après. Faut peut-être que tu te reposes. »
« Je ! »
Tu ?
« Ca va ! Juré, ça va ! J'ai pas besoin de repos, je vais très bien, je suis pas plâtré moi et ça ne m'arrive pas tout le temps moi, t'inquiète pas, c'est bon ! »
Lâche-moi, c'est un peu le message qui ne passe pas tes lèvres. Tu lèves les mains, à moitié pour illustrer que ça va, à moitié pour l'éloigner symboliquement de toi. Tu passes complètement à la trappe ce qu'elle a pu te dire précédemment, tu jettes le respect aux ordures et tu recules.
« Et on est dans la même classe, Reynirsdottir. Tu sais pertinemment ce que j'ai après. »

Oh oh. Peut-être n'aurais-tu pas à fuir, finalement. Peut-être allait-elle partir comme une grande.
Ou fondre en larmes sur place.
Oh shit.
T'as pas trop envie de t'encombrer d'une fille qui pleure. Déjà parce que t'aimes pas ça, les filles qui pleurent ; ensuite parce que c'est ta faute ; enfin parce qu'elle est vraiment chiante et que maintenant tu vas devoir t'excuser. Alors que c'est de sa faute. Fuck. Et aller, son regard s'humidifie, ses joues se gonflent et rougissent. C'est quoi cette fille, une gamine ? Elle a quel âge sérieusement ?
« Ca va ! Tu avais pas l’air bien, je me suis juste inquiété. Pas la peine d’être méchant ! »
HAHAHA si.
Si si, c'est la peine d'être méchant.
Tu fronces les sourcils, plisses les yeux, et au bout de quelques secondes, pars d'un rire tout sauf agréable. Parce que t'en as marre. Vraiment marre. Parce que si dans un premier temps, t'aurais pu trouver ça drôle, voire un peu valorisant, t'as fini par te lasser, fini par étouffer. Tu veux qu'elle te lâche, putain.
« Tu t'fous de ma gueule là ? T'es sérieuse ? »
Et c'est là que les choses deviennent compliquées.
Parce que tu t'énerves, que tu réfléchis pas, et que même quand tu réfléchis, ça t'arrives de pas faire gaffe.
La suite de la conversation se déroulera donc - pour le moment - en allemand. Bisou.
« T'es lourde, bordel c'que t'es lourde ! T'en as vraiment pas conscience ou bien ? C'est pas normal comme comportement, lâche-moi ! Y a un moment faut lâcher prise ! Je suis méchant ? J'ai pas le droit d'en avoir assez ? Tu. me. pompes. l'air. »
Et le pire ? T'as toujours pas capté que t'avais tout laissé exploser... mais qu'elle n'a sans doute rien compris.

Tu t'énerves pourtant rarement, mais là, tu tiens plus. Tu pourrais te dire que t'as craqué, ça y est, que t'y peux rien, c'est fait.
Too late.
Tu pourrais te dire que ça sert plus à rien de regretter, mais culpabiliser quand même, avoir cette pointe au cœur, baisser les yeux pour ne plus croiser le sien. Être lâche.
Cela aurait pu se dérouler de la sorte. Le regard de Luna prouve qu'elle est blessée, et en cet instant, elle a même quelque chose de touchant. Alors tu te mords la langue, ta colère diminuant lentement. Sauf qu'elle semble perdu, et tu comprends pas immédiatement.
« Euh… Je suis désolée, je crois que tu as parlé en allemand. Je n’ai rien compris »
...
Ah merde.
Tu la fixes une seconde, deux. Toute ta colère te quitte immédiatement, ne laissant plus que la culpabilité et l'impression d'être un con. Ca t'arrive souvent, ça. Surtout après avoir parlé en allemand, quand tu dois réexpliquer tout ce que t'as dit, et que la première étape est de savoir à quel moment t'as switch. Sauf que t'es pas sûr de vouloir savoir à quel moment t'as switch. Parce que t'es plus en colère. Parce que tu veux plus la blesser. Parce que tu culpabilises de l'avoir seulement désiré. T'as une boule dans la gorge, énorme, qui t'empêche d'avaler correctement ; c'est douloureux, plein de remords, et tu luttes pour ne pas vraiment baisser les yeux.
'Cause you're weak.
Mais tu vas pas faire ça. Non, à la place, tu vas te reprendre en main et rattrapé tes conneries.
« Tu, euh... Pardon. Je me suis emporté. Excuse. J'm'énerve pas souvent mais... »
Maiiis t'es lourde ?
« ...en ce moment je suis crevé. Pardon. »
T'assumes juste plus, un truc de malade.
« Tu... T'aimes les kinder bueno ? »
T'en as dans ton sac.
Et non, c'est faux, tu ne veux pas acheter son pardon avec de la bouffe.
Putain ça fait pitié, ce que t'es con.

T'as explosé.
Explosé comme il le faisait, et soudain, tu t'en sens malade. Parce qu'aucune femme ne mérite d'être sujette d'une violence, qu'elle quelle soit. Parce qu'à tes yeux, s'en prendre à une femme, c'est n'être rien de plus qu'une sombre merde – comme lui. Et quand bien même Luna est chiante, elle ne mérite pas un déferlement de violence, de colère. De fatigue. Alors tu culpabilises.
Alors t'es con.
Tu sors un kinder bueno et te rends immédiatement compte qu'en plus d'être absurde, la situation est ridicule as fuck. T'as envie de te faire violence là tout de suite, mais, well, tu t'abstiens. Avant de te faire du mal – 'cause you're so so stupid – autant essayer, autant que faire se peut, de réparer tes conneries.
Avec un fuckin' kinder bueno.
« Pas grave. »
Pendant un instant, t'es écrasé par tous pleins de sentiments. Là, t'aurais aimé qu'elle t'en tienne rigueur ; en même temps, elle t'aurait sans doute énervé et culpabilisé toute à la fois ; là, elle se contente d'enfoncer un pieux dans ta poitrine. Pas grave. Pas grave ? Bien sûr que si, ça l'est. Tu te mords l'intérieur de la joue ; t'as cette impression que cette fille est juste... beaucoup trop gentille pour t'en vouloir... ?
T'es pas capable de réfléchir.
« Yep !! »
Tu lui tends la friandise et elle s'en saisit gaiement ; puis tu jettes un coup d'oeil derrière vous, aux gradins. Un kinder bueno ne suffira pas à apaiser ta conscience ; alors tu décides que, bah, autant souffrir franchement. Peut-être qu'avec un peu de délicatesse...
Quoi ? Elle te lâchera ? Ou tu arriveras à comprendre cet étrange énergumène ? Quelque chose comme ça.
« Tu veux t'asseoir, pour, euh, discuter ? »
Tu jurerais voir son regard s'illuminer. À croire qu'elle en rêvait.
Ce qui semble logique, somme toute.
Mais sérieusement...
Bordel c'que t'es con.