Une petite pluie n’avait jamais tué personne. Et puis, en choisissant d’habiter en Angleterre, tu savais à quoi t’attendre. Les clichés ont la vie dure, surtout lorsque de telles trombes d’eau s’abattent sur la ville. Tu auras beau essayer de voir les choses autrement, ce n’est pas à une petite pluie que tu as affaire.

C’est donc d’un pas rapide que tu te diriges vers ton quartier. Ton état ne va pas en s’améliorant ; ton parapluie a décidé de dire merde, et tes chaussures sont aussi pleines que des éponges. Plus vite tu seras à l’abri, mieux ce sera.
Mais es-tu vraiment si pressée ?
Au point d’accélérer le pas et d’ignorer un chat en train de brailler, à moitié emporté par le courant ? Es-tu donc aussi insensible que les passants qui tracent jusqu'au palais ?

“Merde, hein.”

Tu fais demi-tour afin d’aider la pauvre bête. Bonté ou stupidité, peu importe ; tu t’aperçois bientôt que ce félin n'est pas le seul dans ce cas. Mais tu ne pourras pas prendre dans tes bras tous les animaux du coin. L’eau monte, inexorablement, et tu n’es pas un amphibien.

"Putain de merde !"
Son explosion de rage fut rapidement étouffée par l'averse, mais cela ne l'empêcha pas de jurer à voix haute tout en se relevant. Bordel. Fait chier. Putain ! Cette saloperie de pluie n'allait pas bientôt cesser ? Scarlett n'aimait pas spécialement être trempée jusqu'aux os. Elle n'aimait pas non plus marcher dans une pataugeoire géante. D'autant que la chance n'était vraiment pas de son côté aujourd'hui, puisque plus tôt un enfoiré de chauffard l'avait arrosée en roulant comme un dingue sur une flaque - elle le tuerait de ses propres mains - et qu'elle avait manqué de se casser la figure deux fois. La première à cause des courants, la seconde parce qu'il était impossible de voir où on mettait les pieds quand l'eau montait trop haut. Résultat ? Maintenant, notre Galilée avançait clopin clopant dans les flots pour essayer de ménager son genou gauche qui avait amorti le gros de sa chute.
Vraiment, cette journée réveillait en elle des pulsions d'une violence rare.

Et pour ne rien arranger à son humeur, Scarlett n'arrivait pas à se défaire de l'étau glacé qui lui broyait les entrailles ; de cette angoisse horrible qui la faisait trembler. Elle avait beau insulter la pluie, le karma, le monde entier, rien ne lui insufflait assez de force pour oublier que ses proches étaient quelque part en ville.
Peut-être en plein cœur de l'inondation.
Peut-être en danger.
Peut-être pire, bientôt.
Les visages de Theo, Opaline, Celtina lui traversèrent l'esprit - ainsi qu'un autre, de longs cheveux blonds et des iris mordorées. Qu'est-ce qu'il faisait là, lui ? La demoiselle secoua la tête pour le chasser, lui et les autres, de ses pensées. Après tout, si elle n'était plus très loin du Palais - havre de paix au milieu de la catastrophe qu'étaient la ville et sa tête -, rien ne lui certifiait qu'elle l'attendrait saine et sauve si elle continuait à se ramasser toutes les cinq minutes. C'était pas le moment de se prendre pour Theo, bon sang.

Son attention fut finalement attirée par un drôle de bruit. Un... Glapissement ? Scarlett plaça une main en visière et plissa les yeux pour mieux scruter les alentours, en cherchant la source de ce bruit. C'est alors qu'elle vit un petit animal à l'air paniqué, réfugié sur une poubelle à moitié renversée contre un poteau. Comment il avait atterri là, lui ? Ou plutôt, il comptait faire maintenant ? Parce que de toute évidence, son piédestal n'allait pas tarder à partir à la renverse.
Aux coups d’œil angoissés qu'il jetait aux flots ainsi qu'aux tremblements de ses pattes, elle devina que lui-même n'en avait strictement aucune idée.

Notre Knightley hésita un instant, mais en sa qualité de froide asociale notoire, sa conscience ne lui permettait pas d'ignorer cette quiche de chien. Elle s'approcha donc prudemment jusqu'à lui et le prit dans ses bras. "Si t'es un peu intelligent, reste immobile." Grommela-t-elle avant de se tourner à nouveau vers sa destination. Il ne manquerait plus que le bouledog lui fasse perdre l'équilibre dans un moment de panique et qu'ils se ramassent tous les deux.

Attendez, ce sont des gens qu'elle voit là-bas ?

Toutes griffes dehors, le félin, trempé, s’agrippe à tes vêtements, et tu serres les dents. Ignorer la douleur. Penser à autre chose. Bien que dans de telles conditions ce soit un peu compliqué. Mais tu ne peux pas te laisser absorber dans tes rêveries. Tout le monde s'active autour de toi. Le soleil est loin, et tout n’est pas rose ; il y a d’autres choses plus importantes à régler avant de mettre ce chat à l’abri.
Comme venir en aide à ce jeune homme aux prises avec un dogue hargneux.

“Vous- Vous allez bien ?”

Tu as beau crier, interpeller ce garçon, la pluie et les grognements du chien couvrent ta voix. Tu te mords la joue, hésitante. Tu restes plantée là. Comme une gourde. Une potiche. Lorsque les mots parviennent enfin à franchir tes lèvres, leur vacuité te frappe.

“Posez ce chien ! Posez-le !”

Ca n’arrangera rien, n’est-ce pas ?
On ne peut même plus compter sur les adultes. On ne peut pas compter sur toi, Mary.

Bon, c'est de mieux en mieux.
Intriguée, Scarlett s'était légèrement rapprochée des deux silhouettes - le Palais était dans cette direction, sans doute que les inconnus s'y rendaient aussi d'ailleurs. Tout en avançant elle remarqua que par un quelconque hasard, ils avaient tous les trois récolté un animal dans cette pagaille.

Cela dit la jeune femme était déterminée à passer son chemin sans adresser la parole à quiconque, lorsqu'un chien se jeta sur le jeune homme pour le mordre à la jambe. Elle s'arrêta net, à la fois surprise et quelque peu effrayée. Pourquoi cette agression subite, cet animal avait-il la rage ? Ou bien... Scarlett avisa le chiot dans les bras de l'adolescent. Voilà la cause, sans doute.
Un éclat de voix paniqué attira ensuite son attention. La réaction de l'inconnue qui se trouvait avec eux la fit lever les yeux au ciel. Ce n'est pas simplement en posant le petit en plein milieu d'un déluge agrémenté à la sauce inondation que tout s'arrangerait. Cependant, il était aussi vrai que laisser le rouquin seul dans sa galère ne serait pas très philanthrope.

Notre Galilée s'avança donc tant bien que mal vers lui, en tenant fermement le bouledogue qu'elle avait récupéré plus tôt sous le bras. Au passage elle récupéra une branche d'arbre charriée par l'eau. Il fallait absolument distraire la chienne. Et si jamais cela ne marcherait pas il ne lui resterait plus qu'à essayer les caresses, ou à récupérer le bébé.
Ses plans n'étaient pas parfaits, non, mais c'était mieux que rien. Et puis la blonde n'avait jamais prétendu savoir gérer une attaque de maman chien protectrice - pour commencer elle n'avait jamais eu d'animal de compagnie.