XXX Bon alors, quand même, ça marche grave bien, mes saunas. Je suis super content, les gens se bousculent à l’entrée et je dois même délimiter des plages horaires pour éviter les trop plein dans les salles humides. Le pied. Honnêtement, j’avais toute confiance en mon projet mais on est jamais à l’abri d’un flop. Même moi j’en ai déjà eu et même si en soit, ça n’aurait rien eut de dramatique – pour moi qui n’ai pas misé ma vie dessus en tout cas -, ça reste pas super agréable. Ouai non j’aurais tiré la gueule si j’avais été contraint de fermer par manque de visiteurs.

XXX MAIS BON, je vais pas me porter la poisse tout seul non plus. Stop parler des mauvaises choses qui auraient pu arriver parce qu’elles ne sont pas arrivées, justement. Le truc, c’est que je suis vite débordé. Sans déconner, j’ai même pa eu le temps d’aller draguer depuis mon arrivée ici ! Oh, c’est relou quand même. Je me lève, j’expédie un petit déj’, j’ouvre les saunas, je déjeune sur le pouce et le ferme tard le soir avant de me doucher et me coucher. La rançon du succès, sans doute…

XXX Sauf que bon j’ai vraiment besoin d’un coup de main, moi. Du coup, même si je ne pensais pas avoir besoin de faire ça avant un petit moment, j’ai posté des annonces de recrutements. D’abord, du temps partiel. Et comme y’a le Palais pas loin, j’ambitionne surtout de prendre des gens qui ont besoin de thune. Pas de raison que ce soit toujours les mêmes qui se gavent. Si y’a bien une chose que je retiens de Petra, c’est ça. C’est très con, mais j’me dis que c’est la moindre des choses que je puisse faire pour elle, après tout. Genre en sa mémoire, tout ça.

XXX Bon aller, on termine la clope, dans le cendrier, et on se prépare. Le premier candidat devrait pas trop tarder, normalement. En théorie.

XXX Franchement, je m’attendais à peu près tous les cas de figure possible et imaginable. Un mec trop guindé, une nana trop sûre d’elle en tailleur chanel – ouai j’avais pas checké la liste des candidats ni même retenu leurs noms, je suis pas doué pour ça. Et surtout j’ai oublié. Et j’ai aucune patience. Putain je suis clairement pas aidé. Mais bon, quoi qu’il en soit, j’avais pas vraiment d’idées arrêtées sur ce que pouvait être le premier ou la première à vouloir mettre les pieds ici pour me filer un coup de main. J’attendais tranquillement dehors. Et finalement, il est arrivé.

XXX Holy shit ce bordel ambulant.
Franchement, je suis marginal, je pense, mais j’ai trouvé un miniature de moi,
à ce stade. C’est beaucoup trop cool ! Ça change des gens
prétentieux et ultra-guindé qu’on peut trouver par ici – à fortiori avec un
ratio plus fort qu’ailleurs étant donné la présence du Palais juste à côté.
Bordel et dire que j’ai failli devenir comme eux… Je remercierais jamais assez
Petra pour m’avoir remis les pieds sur terre. Mais bon, observons un peu l’énergumène.

XXX « Super sympa le T-shirt, tu l’as trouvé où ? » Visiblement, je peux y aller franco avec le gosse. Tant mieux, ça m’évite d’avoir à formuler mes phrases comme si je parlais à un prince de la couronne – et encore, je suis même pas certain que je prendrais des pincettes même avec des mioches royaux. « Bah écoutes, enchanté, Cody. Je suis Anémone et c’est moi qui gère les saunas, donc. »

XXX Ensuite, je vais sonder un peu ses motivations. Non pas que je sois hyper strict ou sélectif mais c’est toujours une bonne chose de savoir pourquoi les gens viennent chez toi et pas ailleurs. « Du coup, tu penses pouvoir apporter quoi aux saunas en venant y travailler ? »

XXX Oooookay. J’arriverais pas à être sérieux en face de lui, là. Bordel mais c’est quoi ce nerd sur pattes ?! Il me fait trop rire, c’est abusé. C’est un vent ultra frais dans les dents, là. Génial. S’il est comme ça à l’accueil et pendant l’entretien des salles, franchement moi je dis pas non. Eh, après tout je voulais du non conventionnel, je l’ai.

XXX Par contre, bon, faut quand même que je vois un point ou deux avec lui. Parce que les gens ont souvent tendance à penser qu’un taff comme ça, c’est pas trop fatiguant et facile. Sauf que non, ça reste très physique quand même. Et j’ai pas envie qu’il me lâche à la première difficulté.

XXX Du coup je m’appuie un peu plus sur le comptoir, le menton dans la paume de ma main. « Ouai. Tes arguments sont bons, valables. Y’a pas de soucis à ce propos. Juste… » Je lance un regard vers l’entrée des pièces chauffées. « T’as conscience, quand même, que c’est loin d’être une partie de plaisir, j’espère ? Il fait chaud, humide – parfois très très humide – et il faut que tout soit nickel pour la clientèle et vérifier que chaque chose est bien à sa place. Ça demande beaucoup de concentration et t’es pas à l’abri d’un imprévu qui te fasse partir plus tard que prévu. Tu pourras encaisser ça ? » Que je sache. Même si bon le coup du partir plus tard, c’est clairement du mytho. Je leur ferais pas prendre le risque de se faire démonter par Blenheim, oh. M’enfin, ça, il le sait pas.

XXX Il a l’air de savoir ce qu’il dit. Ou, à défaut, il parait l’être en plus de sembler convaincu par ses propres propos. C’est bien, ça. C’une qualité que de savoir ce qu’on veut faire et où on veut aller dans la vie. Ne pas se laisser raconter la messe, c’est encore la meilleure manière d’y parvenir.

XXX Je sens que si je ne mets pas le holà, juste, il va continuer à parler pendant trois plombes et j’ai pas encore suffisamment de temps à lui accorder pour ça. « Bon bon, j’ai compris où tu voulais en venir, c’est déjà bien. » J’ai réfléchis trois secondes et je me suis dit que le meilleur moyen de le jauger, c’était de lui montrer un aperçu de ce que j’attends de lui.

XXX « Oh bonhomme. Bon, on va faire un test, pour commencer, ok ? Ça te dit de me montrer ce que tu vaux en situation réelle ? » C’est encore la meilleure manière de s’y prendre, je trouve. L’apprentissage en direct sur le terrain. Ça vaut n’importe quel manuel d’explications barbantes ! Et puis là au moins, je saurais direct de quoi il est capable et sur quoi je pourrais ou non le faire bosser. En clair, ça me fait gagner du temps. J’aime ça.

XXX Bon, au moins il est pas de ces gens RELOUS qui s’offusque quand on veut tester leurs capacités. Bon point pour lui, en somme. Ça commence bien. « Ok ok. Bon bah, ce que je vais faire, c’est que je vais te laisser à l’accueil pendant quinze minutes et toi, tu vas accueillir la clientèle. »

XXX Je suis pas chien non plus, je lui laisse une grille tarifaire, pour qu’il puisse l’avoir sous les yeux au moment d’annoncer les tarifs. « Sers toi de ça pour situer ce que veut le client et surtout pour lui annoncer le prix de la prestation. Ils paient avant d’entrer, surtout. » Sinon on est pas à l’abri d’une fraude et ça, non merci.

XXX Je m’éloigne donc un peu plus loin, y’a un endroit style coin d’attente dans lequel j’ai fait installer des fauteuils et des tables bien confortables. Je m’installe là et j’attends. « Vas-y gamin, montre-moi comment tu te débrouilles et ensuite on reparlera du reste. » C’est le moment de vérité. Comment elle disait, déjà, Petra ? Now or never ? Ouai, il doit y avoir de ça, dans le fond, je pense.

XXX Je reconnais, il a du potentiel. Peut-être pas le meilleur d’entre tous, mais il a le feeling et la tchatche, c’est certain. Et ça c’est franchement un bon point. Surtout dans ce milieu. J’ai même pas eu besoin de lui dire d’essayer de vendre des trucs en plus, il le fait de lui-même ! Franchement, même en étant tatillon, on peut pas passer à côté d’une perle pareille.

XXX Le quart d’heure passé et les clients accueillis comme il se doit, je me relève pour aller le voir. « Pas mal, pas mal. » Je vais pas non plus l’encenser dès son entretien d’embauche, eh. Ça se mérite, tout ça. Quand même. « Je vais reprendre la main, merci. »

XXX Maintenant, place aux vraies questions pratiques. Et utiles. « Dis voir, p’tit gars. T’as des allergies connues ? Genre à certains produits d’entretien ? Ou pas ? Non parce que j’essaie de faire le plus naturel possible pour les saunas mais bon je peux pas échapper à quelques règles d’hygiène essentielles, tu vois ? Y’a des trucs qui peuvent être corrosifs si on est allergique. » Et je tiens pas franchement à le voir se dissoudre dans mes saunas parce qu’il se sera renversé une goutte d’eau de javel sur la main. Je préfère savoir avant de valider le tout.

XXX Qu’est-ce qu’il cause, c’est infernal ! Le dynamisme, c’est bien mais le trop-plein… Bof. M’enfin, ça, c’est comme tout le reste. Ça se travaille avec le temps. Donc c’est clairement pas ça qui va être gênant. Je ne vais pas le refouler juste parce que c’est une pile électrique, ce ne serait pas correct.

XXX Mais bon, je ne vais pas non plus dire oui ou non maintenant. Il le saura en temps voulu, après que j’ai reçu toutes les candidatures. Pas de raison que je fasse du favoritisme, oh. « Bon, ok, je reconnais. Mais j’ai une dernière chose à te faire faire, avant. »

XXX Je m’approche de lui. « Enlève ses chaussures, chaussettes et tout ce qui pourrait te gêner puis va te rincer les pieds là-bas, dans la cuve. Une fois que ce sera fait, tu vas descendre dans les saunas, du côté homme et faire un tour pendant… aller, deux minutes. Ensuite tu remonteras et tu me diras si tu supportes la température comme ça. Parce que mine de rien, c’est avec ça que tu vas taffer non-stop. » Du coup, vaut mieux être préparé. Je lui colle aussi un badge sirène, histoire que les gens s’étonnent pas de voir débarquer un mec tout habillé.

XXX J’ai beau dire ce que je veux, ce gosse me fait quand même bien marrer. Il y est aller direct, en zappant T-shirt et compagnie. Bon, pour le pins, on va dire que c’était le raté du jour. Mais bon, le reste compense. Une vrai pile électrique, ma parole. Je me demande à partir de quand il tombe à plat, exactement. Question à méditer.

XXX Je le laisse aller faire son ptit tour et revenir. Bon bah, àa à l’air d’aller, pour lui. Un bon point, donc. De toute manière, ce n’était que l’essai préliminaire. A voir pour le reste. Mais il est en bonne position pour taffer avec moi, présentement. Faut juste que j calme un peu le jeu pour l’instant. « Minute, papillon. » Ne rien lui dire de trop inquisiteur. « Je vais y réfléchir. Je te rappellerai dès que j’aurais vu les autres candidats. J’pense que tu peux comprendre comme un grand que le favoritisme c’est mal. »

XXX Je sors de derrière le comptoir et l’accompagne jusqu’à la sortie – après qu’il se soit resapé, quand même. « J’ai ton numéro, donc t’inquiète pas, même si c’était négatif, je te le dirais. Maintenant, rentre chez toi et prends un peu de repos, tu dois être éreinté. » Même moi il m’a épuisé.