“C’est magnifique par ici !”

Joignant ses deux mains, la jeune femme semblait en proie à un vrai bonheur intense. Entrant doucement dans les jardins, elle regarda autour d’elle avec les yeux plus pétillants que ceux des enfants le soir de Noël. Elle qui adorait la nature, la voilà servi -et juste à côté du pensionnat en plus ! Profitant d’un moment d'accalmie pendant ses révisions du week-end, Lucrezia avait eu envie de faire le tour du domaine proche du pensionnat. Une décision risquée, maintenant qu’elle connaît son absence totale d’orientation lorsqu’il s’agit de se balader. Mais elle trouva sans grande difficulté et, heureusement, car les jardins n’étaient ni très loin, ni très discrets.

S’aventurant à l’intérieur, elle trouva un banc sur lequel elle s’asseya, profitant un peu des quelques rayons du soleil. Elle avait eu beaucoup de mal à s’acclimater après son arrivée en Angleterre : la météo anglaise n’était définitivement pas son alliée. Heureusement, elle était arrivée un mois avant la fin de l’été et le changement ne fût pas trop rude sur le moment. Mais maintenant que la rentrée était passée, que le mois de Septembre s’entamait petit à petit, elle comprenait mieux ce que les Européens appelait “la froide météo anglaise”. Elle était bien loin de l’Italie et de son climat plus chaud, plus généreux. Elle soupira doucement, un soupir à la croisée du bonheur et de la tristesse.

Son pays natal lui manquait déjà. Bien heureusement, elle tenait le coup sans difficulté : il suffisait qu’elle pense à ses parents pour retrouver toute son énergie. Pour le moment, elle ne voulait pas retourner en Italie, elle avait bien trop peur de revenir au domicile familial et risquer de se retrouver de nouveau enfermée. Rien qu’à cette idée, elle secoua la tête, une expression agacée se dessinant sur ses traits. Elle préféra se relever plutôt que de se laisser aller à la tristesse ou à l’énervement et elle reprit volontiers sa promenade. Profitant de la vue, elle sortit rapidement un carnet de croquis de son sac, s’agenouillant devant un magnifique parterre de fleurs. Ce qu’elle pouvait aimer la nature.

Au moment où elle finissait d’un coup de crayon son dessin, ses oreilles entendirent au loin une sorte de mélodie. Elle se releva, remettant convenablement sa robe, avant de passer les mèches de ses cheveux derrière ses oreilles pour mieux entendre. C’était … Très beau. Elle aimait les sonorités, les notes, le timbre du son. Peut-être que l’environnement enjolivait son impression, mais son coeur qui se mettait à battre plus fort dans sa poitrine ne se trompait jamais. Alors, suivant les notes, elle parcouru à grande foulée le jardin. Et c’est au détour d’une allée qu’elle trouva ce qu’elle cherchait : la source de la musique. De dos, elle comprit que c’était un jeune homme, plutôt élégant et bien mis et surtout totalement absorbé par sa musique. Une simple guitare, mais il y avait ce quelque chose en plus qui intriguait Lucrezia. Ou, plutôt, qui titillait son intérêt.

Approchant par derrière, elle se retrouva assez rapidement proche de lui. Silencieuse, elle s’installa près de lui, écoutant la musique sans prononcer le moindre mot. Elle se laissa bercer, oubliant pendant quelques secondes que le fait de s’inviter ainsi près de quelqu’un, sans se présenter, pouvait être mal vu. Alors, lorsqu’elle vit le jeune homme bouger légèrement, elle en profita pour sortir de son silence, un magnifique sourire dessiné sur son visage.

“Oh, bonjour ! Pardon, je ne voulais pas vous déranger.”

Le jeune homme eut un sursaut assez brusque en la voyant. Faisant une moue un peu gênée, elle s’excusa de nouveau, confuse de le déranger alors qu’il jouait. Mais surtout c’est l’air surpris du jeune homme qui inquiéta le plus Lucrezia; elle qui voulait faire bonne impression, elle avait l’impression d’avoir échouer. “Vous ne l’avez pas fait…” Elle poussa un soupir de soulagement en entendant le jeune homme s’adresser à elle sans hausser la voix. Elle n’aimait pas être dérangée lorsqu’elle faisait une activitée quelconque, alors elle se serait sentie bien mal de le faire vivre à autrui. Elle profita de la surprise du jeune homme pour le regarder dans les yeux, avant de le détailler un peu plus du regard. Elle n’avait pas l’impression de l’avoir déjà croisé -ou peut-être que si ? Comme une impression vague.

Il faut dire qu’à force de l’observer, ce jeune homme était plutôt séduisant. Pas le genre de Lucrezia; si seulement elle en avait un d’ailleurs. Mais plutôt le genre sympathique, qui présente bien. Totalement le genre de jeune homme devant lequel elle devait se pavaner auparavant pour faire plaisir à son père et à sa si étouffante famille. Et d’un côté, en pensant à tout ça, Lucrezia était ravie pour une fois de pouvoir aborder une personne naturellement, sans forcément faire des ronds de jambes juste parce qu’il “présente bien”. Ne pas être obligée de sourire si elle ne le désirait pas. Mais ici c’était différent; elle était réellement intriguée par ce jeune homme et sa musique.

“Vous êtes là depuis longtemps ?” Lucrezia le regarda de nouveau, laissant un rire un peu gêné s’échapper de ses lèvres. “Mmh … Cela doit bien faire quelques minutes. Un peu plus, je l’avoue. Excusez-moi, je sais que c’est mal d’écouter dans le dos des gens” ajouta-t-elle en inclinant sa tête pour s’excuser. “Pour être exacte, je vous ai entendu à partir de cette note” dit-elle avant de se mettre à fredonner à la note près la mélodie du jeune homme. Elle avait une très bonne mémoire dès qu’il s’agissait d’une de ses passions et encore plus lorsque cela concerne la musique. “C’est vous qui avez écrit cette mélodie ?”

Puis, se raclant la gorge, elle fit son plus naturel et beau sourire. “Je suis désolée, je ne me suis pas présentée. Je m’appelle Lucrezia, je suis nouvelle ici et … J’avais envie de découvrir les environs lorsque je vous ai entendu” ajouta-t-elle toujours aussi souriante. “Et vous, comment vous appelez vous ?”

« Il n’y a pas de mal, vous savez. » Elle sourit. « Merci c’est gentil. Disons que je n’aime pas spécialement froisser les gens » dit-elle, toujours souriante et plus éclatante que les rayons du soleil. Elle le reconnaissait sans trop de problème, elle et les conflits ça fait deux. Elle ne se leurrait pas non plus qu’il ne s’agissait pas de peur, de couardise ou autre. Simplement, elle n’avait pas l’habitude … Des autres. Vivre enfermée, ça a le léger défaut de vous isoler, de vous faire oublier comment agir naturellement sans pour autant trop en faire –ou pas assez. De fait, lors d’un conflit, Lucrezia perd facilement ses moyens, cherchant comment faire au mieux plutôt que d’affronter la situation. Alors oui, elle ne cachait pas son soulagement face à la réaction du jeune homme. Surtout qu’elle en avait, des choses à dire … Et sûrement à écouter également.

L’observant passer sa main dans ses cheveux, elle remarqua qu’il avait une forme d’élégance et de charisme qui sied parfaitement avec sa musique. Certes, il était loin d’être désagréable à regarder mais assez étrangement, Lucrezia ne ressentait aucune attirance. Curieuse, certes, mais loin de faire la cours ou autre balivernes du genre. Elle vit son air amusé lorsqu’elle fredonna la musique et elle espéra ne pas avoir fait de fausses notes –même si cela l’aurait beaucoup étonnée. « C’est moi oui, mais composé est un grand mot. Je gratouillais sans réellement de but. » Lucrezia rit doucement. « Ne soyez pas si peu confiant en vous. « Gratouiller », comme vous dites, c’est ainsi que toutes les musiques les plus remarquables ont été créé un jour. En tâtonnant » dit-elle en mimant quelques gestes des doigts, comme si elle tapotait sur les notes d’un piano. C’était doux et gracieux mais aussi grisant pour elle d’imaginer la mélodie qui sortirait de l’instrument si elle l’avait sous les doigts. Elle n’était pas férue de musique pour rien.

« Nikolaus, Niko. Tu es arrivée il y a longtemps ? Dans le palais, je veux dire. Je peux peut-être te faire visiter si jamais. » Lucrezia tendit la main pour saisir celle de Nikolaus –elle avait appris ça depuis sa sortie. Il semblerait que se serrer la main soit une façon de se saluer et elle trouvait ça très chouette. « Enchantée Nikolaus ! Ou plutôt Niko » ajoute-t-elle avec le sourire. « Je suis arrivée il y a peu, un peu avant la rentrée en réalité. J’avais envie de connaître un peu Fosterhampton avant de commencer les cours » dit-elle avec cette étincelle d’excitation dans le regard. Des cours, des vrais cours. Avec d’autres élèves. Des professeurs qui ne la laissaient pas enfermer entre quatre murs. Un plaisir simple pour beaucoup, mais une vraie délivrance pour elle. Et d’ailleurs, cela se ressentait dans ses intonations. « J’espère pouvoir rencontrer beaucoup de personnes ! Je … ne suis pas très douée pour sociabiliser mais je fais tout mon possible pour être irréprochable » conclu-t-elle en se tordant un peu les mains, signe de gêne. « En tout cas merci pour votre proposition, j’y penserais ! »

Puis, laissant un petit silence s’installer, elle ne savait comment rebondir sans trop insister. Elle finit par se lancer, le proverbe « advienne que pourra » en tête au moment où elle ouvrit la bouche. « Dites-moi Niko, vous faites de la musique depuis longtemps non ? Vous savez, même en quelques notes … On sent un peu de vous dans votre musique » Puis, marquant une pause, elle ajouta « Je veux dire, une musique sans âme ce n’est pas bien intéressant. Et la vôtre de musique est vraiment … Il y a quelque chose de particulier. Est-ce que … » dit-elle hésitante « … Est-ce que je peux vous demander humblement de me rejouer quelque chose ? Je peux me tourner si cela vous gêne d’être regardé » Elle savait, par expérience, le poids qu’un regard peut avoir sur l’artiste. Sûrement plus que n’importe qui.