J’habitais en banlieue chic parisienne pratiquement toute mon enfance, mon père était un amoureux des belles villes. Déformation professionnelle sans doute. Pour ma mère c’était plus comme une niche de clients potentiels, parfait pour les affaires. Pour mon frère, Marc, et moi, c’était plus comme un terrain de jeu géant ! On s’échappait en cachette après l’école pour explorer les coins secrets de cette grande et belle ville lumière. Marc connaissait tous ses secrets ! Le weekend il m’emmenait loin à la campagne, jouer dans les ruisseaux. C’était les moments que je préférais. Il disait qu’il voulait devenir un grand scientifique, pour étudier la vie sous toutes ses formes. Mon grand frère, c’était un idéaliste rêveur. Mais l’entendre parler de son avenir avec autant de passion me remplissais mon cœur de joie. Il ne jurait que par Blenheim ! C’était son rêve de venir ici.

Ma mère a donc décidé que nous allions déménager à Fosterhampton, il y a deux ans. Depuis, il a travaillé comme un fou, jour et nuit. Il ne vivait plus que pour entrer dans cette école. Lorsqu’il a appris pour son admission, il a voulu aller faire la fête avec ses copains…Bien entendu, ils ont trop bu, ils ont percuté un bus de plein face. Une mort vraiment stupide, alors qu’il était à deux doigts de réaliser son rêve. Après quoi j’étais fermement résolue à entrer moi aussi dans cette école. Cela peut vous sembler idiot, mais c’est ma façon à moi de le « garder en vie » encore un peu plus longtemps. Je me dis que s’il m’observe, peut-être qu’il pourrait vivre son rêve à travers moi. Aller dans cette école, avoir son diplôme et puis partir, pour de bon. L’école ça n’a jamais été mon fort. J’ai des capacités de mémorisation qui me permettent de ne fournir qu’un minimum d’efforts, ce qui fait que je ne me suis pas forcément beaucoup investie dans mes études jusque-là. Mais  depuis l’accident, c’est devenu mon principal objectif. J’ai redoublé d’efforts pour avoir un niveau d’excellence et pouvoir entrer à mon tour dans cette prestigieuse école. Ma bête noire ? Les maths. Ironique quand votre frère était un scientifique de génie. Et le sport, à par le ping-pong et la danse ; Même si on peut dire que je « bouge » plus que je ne « danse ». Par contre, j’ai d’excellentes capacités en langue et en histoire. Grace à ma mémoire auditive et visuelle, tout rentre comme du beurre ! En fournissant un minimum d’effort, j’arrive à garder un niveau assez élevé. Ma mère m’a forcé à prendre Mandarin et Russe en options (les grandes forces commerciales mes amis !) alors que moi je voulais apprendre le Hindi. Mais qu’importe. Le problème, ce sont les interactions sociales, depuis la mort de Marc, ma plus grande peur c’est de m’attacher à quelqu’un. Du coup je m’isole dans mon imaginaire pour ne pas avoir à affronter la vraie vie. Dans ma chambre j’ai une citrouille sculptée, appelée Jean Charles. Je parle toujours de lui, en disant qu’il me raconte des histoires obscènes avant que j’aille me coucher. Du coup tout le monde pense que je parle de mon copain, et j’aimerai qu’il en reste ainsi. Ah oui j’aime les citrouilles. Marc m’appelait toujours « ma citrouille », ça m’est resté on dirait. Mais souvent, mes rares amis m’appellent Foxy, à cause de mes cheveux roux. Bref, après un an de travail acharné, j’ai réussi à atteindre le niveau requis pour entrer à Blenheim et poursuivre le rêve inachevé de mon Grand frère. J’espère seulement, que d’une manière, il en profitera autant que moi.