Qu’est-ce que je fous ici, moi ?

J’avoue que je ne comprends pas bien comment je me suis retrouvé dans ce trip complétement débile, mais bon, il faut croire que l’ambiance – plutôt bonne, il faut bien le dire – me retient de me casser immédiatement. Trois mecs d’affilée que je couche au bras de fer, qui dit mieux ? Eh, je me sers de mes bras comme personne avec mes entrainements au Handball. Ce serait la honte si le capitaine de l’équipe n’arrivait pas à tenir tête un minimum à des abrutis qui n’ont pas grand-chose dans le crâne, quand même.

Je soupire. Bon, encore un ? Ok mais c’est le dernier cette fois. Je commence à en avoir ma claque aussi. Je le fais donc comprendre à mes potes de passage et me laisse emmener vers mon dernier adversaire. Là, je me fige. Un peu.

« Mais… C’est une fille. »

Je dirais bien une connerie du genre ‘ma maman m’a toujours dit de ne pas taper les filles’, mais non. J’ai pas eu de mère pour me dire ça. C’est juste qu’elle a l’air aussi fragile qu’un morceau de sucre, celle-là. Je voudrais pas passer –encore – pour le méchant.

Ah merde, apparemment, elle avait entendu ce que je venais de dire. Pas que j’y consacrai une importance monstrueuse, mais j’ai du mal avec les nanas qui se vexent pour un rien. Et ok, j’aurais peut-être pu tenir ma langue, mais là c’était rien. Calme-toi le minimoys, ta tension va finir par sortir hors de ton corps si ça continue.

Oh, et puis merde. Okay, très bien, elle veut qu’on s’affronte ? Pas de problème. C’est pas son physique de poupée de porcelaine qui va me faire peur. « Du tout, je faisais juste une constatation. Je ne suis passé que contre des mecs jusqu’à maintenant, voilà tout. » Et si t’as un problème avec ça, eh bah va te faire foutre. Et ce n’est pas parce qu’elle est en fauteuil que je vais y aller plus doucement. Tout le monde logé à la même enseigne. Il n’y a rien qui m’insupporte de plus que les gens qui se croient saints en voulant impérativement assister H24 des gens souffrant de handicap.

Ce sont des gens comme tout le monde, merde. Donc, elle, comme tout le monde avant s’étant retrouvé contre moi à ce jeu stupide, elle va morfler. Pas de raison, pas de favoritisme à avoir. Je m’installe, tends mon bras. « Vas-y, je t’attends. »

J’entends de la désapprobation dans mon dos. Rien à foutre.

Elle veut jouer ? Ok, pas de problèmes pour moi. On va jouer. Je ne vois rien à redire là-dessus. Au moins la fille s’assume, c’est de plus en plus rare je trouve, d’en trouver de ce calibre. C’est plaisant. Elle est mignonne, en plus. Mais là n’est pas la question. Je suis pas en train de draguer mais de vouloir gagner. Je vais gagner, ça ne fait aucun doute.

« Prépares toi parce que je ne vais pas te ménager, fille ou pas. »

Il ne manquerait plus que ça, tiens. Je passe au-dessus des vieilles remarques débiles. C’est une nana, ouai, et alors ? Ca l’empêche de pouvoir s’illustrer dans des concours à la con, de ce genre ? Faut croire que non. Et puis, elle, au moins, elle ne se démonte pas. Je suis dans le jeu à fond. Aller.

« C’est parti ! »

Je bande les muscles. Ca va le faire, je suis confiant. Absolument confiant.

Franchement ? On m’aurait dît que j’allais perdre, je me serais enflammé tout de suite. Pour moi c’était juste impensable que ça se passe comme ça. Enfin, merde quoi je suis un mec après tout. Pensée machiste peut-être bien – un peu – mais le fait est qu’elle n’avait pas l’air d’avoir la carrure pour coucher des mecs plus âgés qu’elle et surtout plus… costaud ? Non parce que même au-delà du bras de fer et de ce concours débile, il fallait être honnête, niveau masse je l’emportais sans aucun problème.

Sauf que voilà, ma main est maintenant couchée sur le dos et moi j’essaie de réaliser ce qu’il vient de se passer. Je me suis battu sans réserve, je ne voulais pas la ménager sous prétexte qu’elle était une nana. Merci les SJW de merde, laisser nous tranquille là.
Et je me suis fait battre.

« Wouah. »

C’est tout ce que j’arrive à dire sur l’instant.

J’ai perdu, donc. Okay, pas de problème. Je ne suis pas spécifiquement mauvais perdant. C’est la base du savoir vivre, dans le sport. Bon, par contre, ça ne veut pas dire que j’abandonne l’idée d’une revanche un jour prochain. Je finirais par l’avoir ma victoire, même si ça me prends des plombes. Je suis patient, ça devrait le faire.

« Ton nom ? »

Dans la vie, il y a les bons et les mauvais perdants ; il y a aussi les gros cons et les gens intelligents. Sans dire que je fais partie absolument de la seconde catégorie, je pense pouvoir dire que la première ne me possède pas totalement. Tout du moins, pas avec ce que j’ai dans la tête.

J’admets ma défaite, pas de problème à ce niveau-là. Mais ce n’est pas toujours le cas de tout le monde. J’allais répondre mon nom – chose logique quand on questionne ainsi une tierce personne – mais on ne m’en laisse pas le temps.
« Wouaaaah Faith qui se fait aligner par une fille ! » Je lève les yeux au plafond. Okay, des gros cons sont arrivés. Je ne les aime pas et leurs voix m’agacent.

« Tu m’excuses un instant, je reviens. »

Oui, non, à vrai dire je ne lui laissais pas vraiment le choix mais bon… Une de mes chaussure, ma main et boum, lancer franc en plein dans la tronche de cet arrogant.

Puis je me rassois. Tranquille. Comme si rien ne s’était passé. Normal.

« Au moins je me fais aligner par un être vivant, moi. »

Petite vanne pour la route. Puis je recroise son regard.

« Faith, comme tu l’auras deviné, j’imagine. »

Lily-Rose, donc. Ça sonne presque comme un nom de pouffiasse riche arrogante et pourtant ce n’est pas l’impression que j’en ai jusqu’ici. Elle se défend bien et apparemment ce n’est pas dû au hasard. J’imagine que la vie en fauteuil, ça forge le tempérament. Je préfère cependant stopper là l’imaginaire. Je ne me sens pas de vivre un jour sans mes jambes, elles font partie de mon gagne-pain à venir après tout. Je serai champion mondial de handball avec mon équipe, j’en fais le serment ; et pour ça il me faut des jambes en béton.
Mais passons, je m’égare.

« Merci. Faut dire que j’ai des années de pratique. Le shoot en direction des têtes de cons est un art relativement populaire ici. »

Je dis relativement parce qu’il y a une concentration d’abrutis au mètre carré assez impressionnante au palais. Mais bon j’imagine que ce n’est qu’une question de point de vue, après tout.

« T’es arrivée cette année, du coup ? »

Je dis peut-être une connerie mais je ne crois pas.

Ouai. Je me suis fait exactement la même réflexion en débarquant ici. ‘Cool, au moins ici la sélection d’entrée m’évitera de croiser des têtes d’enclumes à tous les coins de rues comme c’était le cas à Ottawa’. Pfff, tu parles. Comme quoi les cons, ça pousse partout. Comme le chiendent. Sauf que le chiendent on peut l’arracher – même s’il revient – pour avoir la paix un moment. Si j’essaie d’arracher la tête à un humain atteint de connerie aiguë je vais avoir des problèmes. C’est apparemment pas très éthique d’agir de la sorte. Dommage. Ce serait une bonne solution, pourtant.

Mais bref.

« Quelle section ? Sans vouloir te vexer, je pense que Blenheim ne fait pas encore la discipline paralympique donc je ne te vois pas vraiment chez les Olympics, comme moi. »

Je n’ai pas peur de mes mots. Je parle comme je le souhaite, sans filtre. Si la gonzesse se vexe, ma foi ce n’est pas mon problème, je n’aurais qu’à passer mon chemin et ne plus la croiser jusqu’à la fin de notre cursus, ce sera une bonne solution.

Galilée. Tiens donc, elle n’a pas une tronche de matteuse à lunettes, pourtant. Bon, je suis méchant et plein de clichés, tous les Galilées ne sont pas comme je viens de les décrire tout comme tous les Olympics ne sont pas forcément bons. Quoi ? Moi ? Méchant ? Je préfère dire réaliste mais pourquoi pas. Je m’en fiche un peu, en fin de compte.

Il n’y a qu’une toute petite chose qui parvient à me faire un peu tiquer. Rien de méchant mais bon, quand même.

« Pourquoi tu vas au gymnase si t’es pas Olympic ? T’as pris l’option du club de sport ? »

Je me renseigne ! Je trouve ça juste… bizarre. Mais encore une fois, c’est pas pour être vicieux ou irrespectueux ; loin de là. En fait je me rends compte que ça faisait longtemps que je n’avais pas cherché à connaître autant quelqu’un. Comme quoi me prendre une veste, ça me réussit parfois.

Elle a la compétition dans le sang. J’aime ça. C’est une qualité que peu de personnes ont de nos jours, j’ai l’impression. Tant mieux pour elle, ça ne pourra que la faire avancer, quand on regarde bien. Je me redresse un peu, étirant mes bras – eh, un exercice tel ça peut vite fatiguer les muscles si on n’en prend pas bien soin.

«Bon eh bien j’imagine qu’on se reverra là bas, du coup. »

Une pensée me vient alors, que je n’aurais jamais imaginé avoir il y a encore une heure.

« Eh, si jamais il y a des abrutis qui te cherche des noises, tu veux mon numéro, au cas où ? Non pas que je sois un chevalier servant, loin de là, mais bon je sais que le niveau d’intelligence de certaines personnes ici peut frôler les abysses océaniques. »

Pour l’avoir enduré moi-même. Mais bon ça va je sais me défendre. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Et elle a beau avoir un putain de caractère –de ce que j’en ai vu -, être mis en PLS par des gens qui profitent des faiblesses évidentes n’est pas toujours surmontable seul.

Elle est cool cette file, franchement. Je ne sens aucun filtre entre elle et moi, on se parle comme à des égaux et ça, ça fait du bien. Elle aussi une bonne dose d’humilité, chose bien trop rare chez beaucoup de personnes – surtout ici, quand on est calfeutrés avec eux toute la sainte journée.

J’énumère donc mon numéro pour qu’elle le prenne. En retour j’enregistre le sien – en essayant de ne pas orthographier n’importe comment son prénom. Ce serait cool si je pouvais la recroiser dans un contexte un peu autre. Ça doit être cool de pouvoir discuter avec elle.

Je regarde ensuite ma montre. Merde j’avais pas vu le temps passer aussi vite.

« Désolé je dois y aller, il faut que j’aille promener mon chien. »

Pauvre Roméo, déjà qu’il n’aime pas vraiment rester enfermé pendant les journées de cours, si en plus je mange ses heures de promenades, il va finir par me bouffer. Je me lève donc et accorde un dernier signe de main à Lily-Rose. Elle devrait s’en sortir, je pense ; on sent qu’elle a un caractère qui ne se laisse pas démonter. C’est l’essentiel.