Charlotte était à la bibliothèque. Comme la plupart du temps en fait.

L'année avait à peine commencé qu'elle s'y cachait déjà pour louper quelques cours qu'elle trouvait inutile. Du moins c'est ce qu'elle prétendait.

La vérité c'est que depuis la rentrée, elle avait remarqué que le comportement des camarades de classe avaient changé vis-à-vis d'elle par rapport à l'année dernière. L'année dernière, ils venaient d'arriver et ils étaient nouveaux et elle, elle parlait à personne du coup personne ne lui parlait et c'était très bien comme ça.

Mais en un an, elle était passée de la fille calme en classe qui aime le paranormale et les histoires fantastiques à la fille folle.

Oui. Vous avez bien lu. Folle.

Au début elle n'avait pas compris qu'on parlait d'elle. Elle ne s'était jamais considérée comme folle. Mais très vite elle avait remarqué les rire et les regards que lui lançait certains élèves de son année. Evidemment, ils évitaient de le dire en face d'elle. D'une, car ce n'était pas correct et deux, et surtout, parce qu'elle était la soeur d'un prof. Mais elle n'était pas dupe et on se moquait bien d'elle.

Du coup, elle ne voulait plus aller en classe. Elle faisait quand même l'effort pour les cours qu'elle aimait bien mais pour les autres… nope. Au début elle avait prétexter qu'elle ne se sentait pas bien et était partit se réfugier dans sa chambre ou à l'infirmerie mais maintenant elle ne prenait même plus la peine de retourner en classe et elle allait se cacher à la bibliothèque.

Elle faisait mine que tout ça la touchait pas et prétextait que c'était parce que les cours étaient ennuyants voir inutile pour son futur mais en vrai, elle n'aimait pas entendre les gens rirent dans son dos et dire qu'elle était folle.

Et la rumeur de Queen n'avait rien arrangé. Quand elle l'avait vu la première fois elle avait ri. Elle trouvait cool qu'on parle d'elle sur internet en vrai. Et elle ne pensait pas que les gens prenaient au sérieux ce genre de trucs. Et pourtant.

L'ambiance avait totalement changé en classe après cette histoire. Ce qui était seulement des rires et des petites piques amusantes étaient devenues des moqueries pour certains, du dédain pour d'autres. Même ceux qui voulaient encore bien lui parler en début d'année, l'évitait maintenant.

Elle avait essayé de se défendre en disant qu'elle ne faisait rien de lubrique dans cette cabane et qu'elle faisait juste des expériences paranormales mais c'était pire que mieux.

Et elle ne voulait pas ennuyer son frère avec ses problèmes.

Voilà pourquoi elle était coincée entre deux rangés de livres avec un gros manuel d'histoire sur les jambes. Au moins lire lui permettait d'oublier ses pensées. Et puis elle lisait tellement qu'elle n'avait pas besoin d'aller en cours au final. On pouvait apprendre tout ce qu'on voulait soit-même grâce aux livres. Elle avait de toute façon la liste de la matière à voir durant cette année. Elle étudierait par elle-même et passerait l'examen en même temps que tout le monde. Voilà.

Cette décision était irrévocable et elle tourna la page de son livre avec un air absent.
 

   

Dire que les années passées au Palais de Blenheim s’étaient toutes déroulées sans accrocs pour Benjamin aurait été mentir. Bien sûr, comme chacun il avait été quelques fois la cible de Queen et de ces rumeurs absolument stupides, mais de cela il n’avait jamais été réellement intéressé. Il s’était contenté de laisser couler, là où d’autres avaient préféré se défendre publiquement. Le Perrault n’avait jamais rien changé à ses habitudes d’alors et les livres avaient encore été son refuge le plus efficace. Au bout d’un moment, les racontars avaient fini par se calmer d’eux même.

Christophe, lui, préférait régler les choses de façon plus… musclée. De ce que Benjamin en savait, son jumeau avait parfois été impliqué dans des histoires de bastonnades et autres du même acabit, mais il n’avait pas cherché à investiguer davantage. Il faisait confiance à sa moitié et ses méthodes éprouvées, nul besoin d’en rajouter davantage.

Cependant, Benjamin savait aussi qu’il faisait en quelque sorte figure d’exception t que tout le monde n’était pas toujours capable de réagir comme lui l’avait fait. C’était apparemment le cas de Charlotte.
Sa petite sœur… Benjamin aurait préféré se casser tous les os du corps plutôt que de laisser Charlotte se sentir mal. Tel était son rôle de grand-frère après tout, non ?

On était venu le chercher juste avant qu’il n’entre en classe pour l’un de ses premiers cours de la semaine. Charlotte était absente de sa classe et apparemment pas dans sa chambre non plus. On lui avait donc demandé s’il savait où était sa cadette. Ne sachant que répondre mais ne pouvant rater sa classe non plus, le Perrault avait donc opté pour une solution qui saurait satisfaire le plus grand nombre. Il commença son cours, distribua un texte à ses élèves et leur donna pour consigne de relever des choses précises au sein dudit texte le temps qu’il s’absente de sa classe. Il vérifierait à son retour.

Cela lui laissait peu de temps mais au moins une petite marge de manœuvre, le temps qu’il puisse mettre la main sur Charlotte. Lui savait parfaitement où chercher. La demoiselle aimait les livres au moins autant que Benjamin. La bibliothèque s’imposa donc tout naturellement dans son esprit.

C’est donc dans ce havre de livres que se rendit le français, arpentant d’un pas rapide les allées de ce sacro-saint endroit. Et comme il s’y attendait, il n tarda pas à la trouver. Alors, un sourire sur les lèvres – il était rassuré qu’elle n’ait rien quand même. « Eh bien alors, on décide de faire l’école buissonnière ? »

   

Charlotte sursauta quand elle entendit la voix de son frère juste à côté d’elle.
Elle était tellement perdue dans ses pensées qu’elle ne l’avait même pas entendu arrivé.
Elle leva donc sa tête pour se retrouver nez à nez avec son aîné en se demandant lequel de ses profs avaient fini par vendre la mèche, elle détourna les yeux et reprit sa lecture en rajoutant un simple :

« Ah. C’est toi. »

Elle tourna la page du livre qu’elle avait sur les genoux et regarda la représentation iconographique de Jeanne d’Arc qui y figurait. Elle aussi, on l’avait traiter de folle et on avait fini par la brûler sur un bûcher.

Elle ne voulait pas expliquer ça à son frère. Sans doute qu’elle avait honte mais elle préférait imaginer qu’il ne comprendrait tout simplement pas son problème et ne pourrait rien régler si ce n’est aggraver la situation.
Alors elle raconta la connerie qu’elle racontait à tout le monde.

« Les cours sont inutiles et ennuyants. Je préfère apprendre dans les livres. »

Elle se demandait même si ce n’était pas plus judicieux pour elle de faire ses bagages et rentrer en France.

 

   

Charlotte avait toujours été un peu surprotégée, dans la famille – et plus spécifiquement dans la fratrie. Que ce soit par leurs parents ou par leurs autres frères et sœurs, la petite dernière n’avait jamais manqué de rien, en aucune mesure. Mais cela voulait aussi dire que, dans l’ensemble, elle n’avait eu que peu de fois l’occasion de faire face à la réalité hors de la bulle familiale, de gérer des propos qui aurait pu la blesser profondément.

Doucement, il vint lui prendre son livre et s’accroupit devant elle, caressant sa tête avec toute la douceur de frère ainé qu’il pouvait rassembler. « Ce ne serait pas plutôt cette imbécile de Queen qui te mine à ce point ? »

Il avait entendu parler de la rumeur, bien sûr. Mais Benjamin n’y avait jamais vraiment prêté attention durant ses années d’études ; il n’allait pas commencé en tant que prof…

   

Son grand frère lui prit son livre des mains et s’accroupit devant elle en lui caressant doucement la tête. Evidemment, il avait compris d’où venait le problème. Du moins, en partie.

« Ce ne serait pas plutôt cette imbécile de Queen qui te mine à ce point ? »

Si c’était que ça ! Ce que Queen avait dit était totalement ridicule et tout ceux qui avait un temps soit peu de jugeote l’aurait compris. Mais c’était un enchaînement de choses comme ça qui faisait que maintenant on se moquait d’elle tout le temps.

Elle garda le silence et baissa la tête, honteuse. Que penserait son frère et le reste de sa famille s’ils savaient ce que les gens pensaient d’elle ? Elle était tellement jugée par ses camarades de classe et les autres élèves de l’école qu’elle avait peur que sa famille finisse par la juger aussi.

Elle finit tout de même par marmonner, les yeux fixant toujours le sol :

« Dis… Tu trouves que je suis bizarre ? »

 

   

Bon. Apparemment, le problème semblait plus ancré que ce que Benjamin avait imaginé au départ. Il fallait prendre le mal à la racine et surtout ne pas brusquer Charlotte, Benjamin la savait sensible – il partageait ce trait avec elle, dans un sens. Ainsi donc, il vint s’assoir devant sa cadette, en tailleur, froissant son costume neuf – mais bon, très honnêtement parlant, il n’en avait rien à faire.

Puis, faisant mine de réfléchir, il tâcha d’orienter le problème, autrement. « Hum. Si tu es bizarre ? Voyons voir… Peux-tu déjà définir ce qu’est la bizarrerie ? » Car c’était un point de vue, tout comme le reste. Et Benjamin savait comment argumenter son propos – car il savait bien que sa sœur ne se laisserait pas amadouer si facilement. « Tu as déjà entendu parler d’un certain Nicolas Tesla ? »

   

Charlotte regardait le sol avec obstination. Elle avait peur de croiser le regard déçu de son frère. Peut-être qu’il n’avait jamais pensé une seule fois qu’elle était bizarre car ils ont vécu ensemble mais que maintenant qu’elle le dit, il ne pouvait qu’admettre qu’elle était bizarre ? Du coup, peut-être qu’il ne la considérera plus comme sa soeur ? Oui, Charlotte aimait bien aussi exagérer les choses.

Du coup, elle fut un peu surprise par la réponse de son frère qui retourna sa question par une autre. La définition de « bizarrerie ». Et il enchaîna sur une seconde question. A savoir si elle savait qui était Nicolas Tesla ?

Charlotte soupira et leva la tête pour répondre.

« La bizarrerie c’est quelque chose qui sort de l’ordinaire, qui est extravagant et donc, pas normal. »

Cela signifiait donc que ses camarades de classe ne l’a trouvait pas normal. Elle enchaîna avec la seconde question.

« Nicolas Tesla c’est un inventeur et ingénieur serbe spécialisé dans le domaine de l’électricité et de la mécanique. Mais je ne vois pas le rapport avec la bizarrerie ou avec moi. »

Fait une mine boudeuse.

 

   

Benjamin regardait sa sœur, apparemment en plein doute sur les paroles qu’il lui avait adressées un peu plus tôt. Tant mieux, qu’elle réfléchit était encore un excellent moyen de permettre que son esprit se détache du négatif qui la cernait encore et toujours depuis qu’il l’avait déniché ici. Pour autant, même si elle lui avait donné une définition correcte de l’individu qu’il avait cité, Charlotte n’étais pas arrivé à la conclusion que Benjamin aurait souhaité qu’elle prenne.

Qu’à cela ne tienne, en tant que professeur, mais avant tout en tant qu’ainé, il se devait de guider sa cadette sur le chemin qui lui était adapté. Car Charlotte n’était en rien ce qu’elle se définissait être pour l’heure. Bien loin de là, même. « Mais, de la même manière, Charlotte, la notion de ‘normalité’ est-elle universelle ? Ou bien propre à chacun ? » Encore une partie de philosophie. Mais un problème avant l’autre.

« Tesla fut considéré comme un inventeur de génie mais… Lui aussi était considéré comme ‘bizarre’, pendant sa jeunesse. Est-ce qu’il l’était vraiment ? Je ne pense pas. Quel est ton avis sur la question ? » Toujours impliqué les apprenants.

   

Charlotte écouta son frère que d’une seule oreille. Evidemment que la notion de « normalité » n’était pas universelle. Mais elle elle parlait de la notion de « normalité » de cette école. Et pour cette notion, elle n’était clairement pas qualifié de « normale ».

Après que Ben lui donna comme exemple la vie trépidante de Tesla, Charlotte haussa les épaules et marmonna :

« Du coup, je dois attendre d’avoir inventé un truc super et d’être partie de cette école pour qu’on me considère comme une génie et pas une timbrée ? »

Non parce que c’était pas un avenir très réjouissant. Pas qu’elle ne pensait pas être une génie incapable d’arriver à ses fins. Elle savait parfaitement qu’elle était plus intelligente que la moyenne *tousse* et qu’elle prouverait à tous l’existence d’un monde invisible à l’oeil humain où vivraient toutes les créatures surnaturelles *tousse tousse*. Mais malheureusement, elle ne savait pas combien de temps ça prendrait pour prouver à tous qu’elle n’était pas folle et pour le moment ça lui pesait trop sur la conscience et elle était pas prête de revenir en classe. Elle ne voulait pas perdre du temps avec des cours inutiles ! Elle devait découvrir un truc et prouver aux autres qu’elle n’était pas folle !
 

   

Un soupir passa les lèvres du plus âgé des Perrault de la pièce. Bon, visiblement, les arguments classiques ne fonctionneraient pas avec Charlotte cette fois-ci. Benjamin comprenait bien le point de vue de sa cadette et ne cherchait en rien à la rabrouer. Mais il devait également tenir son rôle de professeur et donc, de figure d’autorité. Doublement dans le cas présent puisqu’il avait une personne bien particulière, en face.

Se massant la nuque, le blond fini par s’asseoir en tailleur, devant sa petite sœur. Puis, doucement, il lui prit les mains afin de créer un véritable pont entre eux. Le but était de lui faire reconsidérer la chose. « Charlotte. Je me doute que tout n’es pas rose en ce moment pour toi. Ne t’inquiètes pas, cela ne durera pas. Malheureusement la vie est aussi faite d’écueils qui te serviront plus tard, j’en suis persuadé. Il faut simplement que tu acceptes de les laisser prendre place dans ta vie. » Inspiration, expiration. Il reprit ensuite, son regard toujours infuser de la tendresse typique des ainés.

« Tu as une imagination débordante et une manière d’aborder les choses ma foi, peu orthodoxe, mais pas négative pour autant. N’oublies pas que ce qui t’a mené ici, à Blenheim, c’est précisément ce talent que tu as en toi. Ne laisses pas les autres t’en détourner ou torpiller sa scolarité pour de simples idiots qui ne comprennent pas. » Charlotte n’était pas marginale. Elle devait s’en rendre compte maintenant.

   

La plus jeune des Perrault fut surprise quand son frère aîné s’installa en tailleur devant elle. Elle qui avait voulu que la conversation ne traîne pas en longueur, elle comprit très vite que Ben ne laisserait pas tomber tant qu’elle ne serait pas retournée en cours. Ce dernier lui prit les mains et lui tenu un discours pleins de bon sens et de gentillesse. Tout ce dont elle avait besoin en ce moment.

Charlotte était du genre à jouer les fières et montrer que rien ne la touchait mais ces dernières semaines avaient été dures à supporter pour elle et sa peur d’être rejeter par sa famille avait aggraver la situation alors évidemment les paroles de son grand-frère la rassura et brisèrent la carapace invisible que la jeune fille avait formé mentalement pour ne pas craquer.

Du coup, les larmes lui montèrent aux yeux et elle serra les mains de son frère plus fort en sanglotant.

« Ils disent tous que je suis folle. J’ai pas d’amis. Tout le monde se moque de moi. Tout le temps. »

Elle lâcha les mains de son frère pour se frotter les yeux en continuant à pleurer.

« Je veux pas de ses écueils. Je préfère encore rentrer à la maison que de rester ici plus longtemps avec ces idiots qui comprennent rien ! »

 

   

Il s’en était bien douté, dès le départ. Charlotte avait sa propre sensibilité et ses camarades de classes avaient écorchés cette chose précieuse de par leurs remarques déplacées. Benjamin pouvait comprendre. Il avait bien vu qu’elle avait eu, tout du long et sans doute sans même s’en apercevoir elle-même, le cœur aux bords des yeux, les larmes aux lèvres. Une bien belle formulation pour une réalité plus triste encore.

Dans un geste assuré et rassurant – tout du moins l’espérait-il puisqu’il souhaitait réellement le faire apparaître tel quel -, le plus âgé des Perrault vint prendre Charlotte dans ses bras, aussi tendrement que possible. Ramenant la demoiselle contre lui, pour la laisser se décharger de son lourd chargement de larmes, il ne dit rien dans l’immédiat.

Ce ne fut que lorsqu’il pensa qu’il serait bon d’agrémenter la situation de quelques paroles qu’il le fit. « Charlotte… Tu sais bien que personne ne te forcera à rester ici, bien sûr. » La famille resterait soudée et unie jusqu’au bout. Et l’unité défendrait la petite princesse de cette fratrie, pour sûr ! « Seulement, je t’en conjure, Charlotte. Au moins, réfléchis-y. C’est de ton avenir dont on parle, c’est de ton avenir qu’il est question avec le Palais de Blenheim. Ne laisse pas autrui gâcher ce qui a tu as mis tant d’effort à obtenir. » Il espérait qu’au moins ces mots pourraient entamer de la consoler. Et si pas, il ferait en sorte de poursuivre.