Elros entre dans la voiture et s'affale à l'arrière, suivi par une petite boule d'énergie qui vient s'éclater contre son ventre. Il hurle de douleur -exagérément- tandis que le rire du gamin emplit l'espace, et se jette sur lui pour le chatouiller. Elros n'entend pas les portières s'ouvrir, ni ses parents s'installer à l'avant, jusqu'à ce que retentisse la voix de leur père.

▬  Les gars, on s'attache.
▬  Yep, tout de suite !

Il demande à son cadet de s'asseoir correctement afin qu'il puisse l'attacher, puis ils se remettent en route. Naomiie se penche sur le lecteur et y insère un CD qu'elle trouve dans la boîte à gants, et dès que la musique retentit, se met à rire. Elle passe une main dans les cheveux de son mari, qui esquisse également un sourire imperceptible qu'Elros a appris à repérer avec le temps.

▬ Est-ce que tu es excité mon chéri ? demande-t-elle en se retournant vers son fils aîné. Je le suis tellement, j'ai l'impression que mon coeur va exploser !
▬  Non maman !!
▬  C'était une façon de parler, Nolan... le rassure son frère. C'est juste une rentrée, maman, je suis un impatient d'arriver mais ça va.

Naomiie le gratifie d'un grand sourire, et se rappelle à voix haute de sa première rentrée. À quel point elle avait le coeur déchiré quand il est parti sans se retourner, et quand elle a failli fondre en larmes quand il a finalement fait demi-tour pour prendre une dernière fois sa mère dans ses bras. Elle a un air mélancolique sur le visage, avant de croiser le regard de son mari, visiblement amusé -Elros voyait leurs échanges dans le rétroviseur central.

▬ Qu'y a-t-il Noah ? Aurais-tu quelque chose à dire ?

Contre toute attente, le bras de Noah traverse l'espace pour les passer autour de Naomiie, qui s'exclame, reprochant à son mari de ne pas faire attention à la route. Elros lance un regard à son petit frère, qui hausse les épaules l'air de dire « on a l'habitude non ? » et attend que leurs parents aient fini de partager leur moment.

Il se rappelle que quand il était jeune, papa n'était comme ça qu'avec maman. Nolan n'a pas connu ça -il est arrivé plus tard, aussi- mais El, lui, se souvient. Il se souvient qu'il entendait parfois papa crier, la nuit, mais pas sur maman -sur lui-même, en fait. « Papa fait juste des cauchemars, ça va aller… » Elle avait l'air si convaincue, qu'il finissait par y croire aussi.
Maintenant, il comprenait un peu mieux papa. Ce n'était pas sa faute s'il était violent.
L'important, c'est qu'il n'a jamais levé la main sur eux. Il préférait frapper dans les murs.

▬ Elros. Tu te rappelles de Diana ?
▬  Diana… Diana comment ?
▬ Diana Harrington-Levy. On passait une semaine avec ses parents tous les étés, quand vous étiez petits. Oh, Nólairë mon coeur tu étais un tout petit bébé toi...

Et il cherche dans sa mémoire, pendant que maman raconte les souvenirs desdits étés, et petit à petit quelques uns lui reviennent, mais un peu de loin.

▬  Une petite brune prétentieuse. Vrai casse-couilles, le portrait craché de sa mè-
▬ Noah !
▬  Ouais pardon ! Il croise le regard de son fils dans le rétroviseur. Elle fait sa rentrée à Blenheim, si j'en crois sa mère.
▬ En parlant de ça, je me demande comment ils vont ? Tu devrais peut-être appeler Judith un de ces jours...

Elros hausse les épaules, range l'information dans un coin de sa tête et laisse ses pensées vagabonder pendant que son père insulte allègrement celle qui est supposée être sa meilleure amie -il sait cependant que derrière cette façade il porte cette femme dans son coeur. Il se demande ce que ça va faire de quitter la maison aussi longtemps, si son frère va bien le vivre, lui qui est toujours là à traîner dans ses pattes, si sa chienne ne sera pas trop triste en son absence, si ses amis du collège ne vont pas trop lui manquer.

Et ils arrivent au palais, et il se rend compte que quoi qu'il arrive, les sept prochaines années ne vont ressembler en rien à ce qu'il a vécu jusque maintenant.



Il sort en trombe du bus, suivi de près par sa chienne qui lui court dans les jambes, manquant de le faire tomber. Il retrouve son équilibre tant bien que mal, ramasse ses deux sacs laissés au sol et baisse les yeux vers l'animal.

▬  Combien de fois je t'ai dit de pas traîner dans mes pieds ? J'aurais pu t'écraser !

Maya aboie joyeusement, recommence à courir autour de lui et Elros laisse tomber. Ils se mettent alors en route pour le palais, et retrouvent la chambre qu'ils ont quitté deux mois auparavant. Rien n'avait changé -ni les bouquins laissés sur le bureau, ni le garçon qui se tenait sur le pas de la porte.

Sa première année à Blenheim lui avait apporté son lot de connaissances -au moins il était certain de ne pas se faire expulser pour son niveau scolaire qui était très bon voire excellent- mais également sa dose d'expériences. Notamment les premières fêtes, et les premiers problèmes de cœur, desquels il se serait bien passé pendant sept ans s'il avait réussi à les éviter.

Il s'était fait des amis, en un an, suffisamment pour l'aider à survivre dans cet environnement hostile, et avait fait en sorte de faire connaître son nom pour les bonnes raisons. En un an, il s'était familiarisé avec les groupes, les classes, les gens ;  mais il était resté loin des problèmes de réputation, des rumeurs et autres bruits de couloir.
Pas certain qu'il y arrive cette année encore, maintenant que son statut de nouvel élève était révolu.

Maya grimpe sur le lit tandis qu'il se laisse tomber dedans, le nez sur son téléphone portable à la recherche de tout ce dont il aurait besoin pour la rentrée -emploi du temps, répartition des classes, réunion de club- et reçoit soudainement une notification sms qui fait sursauter sa pauvre chienne.
« J'arrive dans dix minutes. J'espère que je t'ai manqué. » (de DHL)
Et il sait, Elros, que s'il veut continuer à être invisible, il ferait mieux de changer d'établissement.