C’est une fois comme ça, une fois où Lily-Rose n’est pas dans son fauteuil. Ca arrive plus souvent qu’on ne croit ; quand elle se douche, quand elle se couche, quand elle monte dans un véhicule, ou quand elle fait de la rééducation.

C’est une de ces fois-là. Ses cheveux sont encore humides des exercices aquatiques qu’elle a pratiqué juste avant, dans la piscine olympique. Peu adapté, mais elle ne se plaignait pas. Elle se débrouille seule. Être dans l’eau est merveilleux, en ce lieu son corps n’est plus un poids. Mais à présent, Lily-Rose en sent toute la lourdeur et la balourdise, alors qu’elle s’appuie de tout son poids sur deux barres parallèles à sa hauteur.

Lily-Rose est au bout. Elle n’avance pas. Il est trop tôt pour ça. Pour avancer, il faut d’abord qu’elle sente ses jambes, qu’elle sente qu’elle a des jambes. Après les exercices aquatiques, après les étirements et massages de rigueur, elle se tient là, à tenter de solliciter ses jambes.

Pour quelqu’un de l’extérieur, pour quelqu’un qui ne sait pas, ce que Lily-Rose fait n’a pas de sens. Elle apparait stupidement immobile. On n’imagine pas toute la force que cela lui demande de se tenir debout, on n’imagine pas qu’elle n’est pas immobile, que ses jambes bougent. A peine, si peu, mais elle le sait. Parce que c’est ce que Lily-Rose sent.

Ses jambes, mais si peu, à peine, poussées par sa hargne.

« Salut. »

Concentrée sur son exercice, Lily-Rose n’a pas entendu que quelqu’un s’approchait. Elle manque de sursauter et de tomber au sol. Lily-Rose retrouve rapidement son équilibre puis se tourne pour voir le nouvel arrivant. Oh.

Faith. Je crois. Sale con, tu m’as fais peur. « Salut. »

« Besoin d’un coup de main, peut-être ? » Lily-Rose ne comprend pas tout de suite pourquoi il lui pose la question. Elle ne voit pas d’où ça peut venir. Elle hausse un sourcil perplexe.

J’ai une tronche à avoir besoin d’aide peut-être ? « Non. Pourquoi ? »

« Je disais ça parce que seule tu risques de te faire un claquage, en plus de… ça. » Ca. Le regard de Lily-Rose tombe un instant sur ses jambes, toujours immobiles. Elle a cessé d’essayer de les contractés lorsqu’elle a remarqué Faith. Elles ne la tiennent pas, elle tient par ses bras seuls.

Elle redresse la tête, et commence à jouer des bras pour se balancer. Lily-Rose se déplace pour ne s’appuyer plus que sur une seule barre et faire face au jeune homme. « Merci, c’est gentil. Mais ça va. J’ai l’habitude de ça, je sais gérer. » Elle le regarde, accroche des détails qu’elle n’avait pas remarqué juste avant. « Tu sors d’entrainement ? »

« Hum ? Ah, moi. Ouais, je sors d’entrainements et j’allais promener mon chien après. Si jamais tu veux venir. » Lily-Rose réfléchit un instant à la proposition, regarde ses jambes. Sa cession de rééducation touchait à sa fin, alors qu’est-ce qui l’empêchait d’accepter ? Rien. Elle ne voit rien.

« Je veux bien. Laisse-moi juste le temps de me rasseoir. » Lily-Rose pose son regard sur sa chaise maudite. Qui n’est pas exactement à côté d’elle. Elle soupire.

Bon bah, allons-y.

Lily-Rose se met à se balancer maladroitement, ses pieds trainant sur le sol comme des ancres enchainant un bateau au fond de la mer. Concentrée, elle ne voit pas vraiment le chien arriver. Il lui faut quelques minutes avant qu’elle ne s’échoue dans son fauteuil. Et là encore, Lily-Rose n’a pas finit. Elle doit positionner correctement ses jambes, poser ses pieds sur le marchepied.

C’est seulement après, alors qu’elle se dégage des barres en quelques tours de roues, qu’elle voit le nouvel arrivant. « C’est ton chien ? Il est magnifique. »

« Magnifique je ne sais pas, mais il est débile, un peu, parfois. » Lily-Rose rie à l’entente du commentaire. A ses oreilles, ça sonne un peu comme la phrase d’une personne qui adore son animal, mais qui ne veut pas le montrer. Ca l’amuse. Son rire se coince cependant lorsqu’une ombre vient la recouvrir.

En levant les yeux, Lily-Rose voit la tête du chien la dépasser. Il s’est appuyé sur ses jambes pour se redresser. Elle lui donne quelques caresses sur la tête. Elle entend Faith s’exclamer contre l’animal, avant que celui-ci ne descende et se recule. A moins que ce ne soit le fauteuil de Lily-Rose qui recule ?

Elle bloque d’un mouvement les roues. Pas qu’elle serait aller loin de toute façon. « Désolé… Il fait souvent ça quand il est content. Il ne t’a pas fait mal j’espère ? » Lily-Rose secoue la tête avec un léger sourire. « Non c’est bon. Je ne sens rien de toute façon. » Elle désigne ses jambes.

Malheureusement. J’aurais préféré avoir un peu mal que rien du tout…

Lily-Rose se rapproche et désigne la sortie. « On y va alors ? »

« Allons-y. Tu voudras jouer avec sa balle ? Il adore quand on la lance super loin… Et ça l’épuise par la même occasion donc ça m’arrange à fond. » Lily-Rose roule vers la sortie avec Faith. Le chien –Romeo- est déjà en train de courir au devant. Pour une certaine raison, elle a l’impression que les chiens comprennent toujours quand le mot « promenade » est prononcé. Comme quoi, eux aussi ne retiennent que ce qu’ils veulent.

« Pourquoi pas ? J’ai assez de force dans les bras pour l’occuper un moment. » Un commentaire discret sur sa victoire au bras de fer ? Nooon. Lily-Rose n’est pas comme ça.

A peine.

« Où est-ce que tu as prévu d’aller ? Je te suis. »

« Abuses pas non plus hein, je sais que t’as gagné. Pas haut la main, mais je suis au courant que t’as du muscla à revendre. » Lily-Rose éclate de rire. Son petit commentaire n’est pas passé inaperçu. « Je n’abuse pas, j’entretien simplement ton désir de revanche. » Explique-t-elle malicieusement, après s’être calmée.

Elle prend la direction de la sortie, en essayant d’éviter le chien qui lui tourne autour. Marcher avec un animal dans les jambes est était déjà délicat à la base, avec un fauteuil c’était encore plus difficile. « Euh. En fait j’avais rien prévu. Peut-être la prairie mais j’ai pas envie que ce soit trop galère pour toi, du coup je te laisse me dire ? » Lily-Rose s’arrête et penche légèrement la tête, en pleine réflexion. Elle a confiance en ses forces pour se déplacer, ainsi qu’en la solidité de son fauteuil. « A moins que le terrain ne soit boueux ou escarpé, ça devrait aller. » Une prairie, c’est un terrain plat et herbeux. Rien de très risqué pour elle, normalement. Lily-Rose tourne la tête vers Faith. « Sinon, le chemin autour du lac devrait faire l’affaire non ? »

« Va pour le tour du lac, alors. On épuisera Roméo en lui lançant une balle dans le lac, ça lui fera les pattes. » Parfait. La destination est définie, il ne reste plus qu’à s’y rendre ! Encore faut-il que Romeo veuille bien s’éloigner un peu de son fauteuil. Lily-Rose ne peste pas. Pas encore. Mais la boule de poil un peu trop active qui lui tourne autour n’est pas d’une grande aide pour sa paix intérieur. Mmh.

« Pendant qu’il nage, cet gros bêta, je pourrais te filer des conseils pour tes étirements et tes massages ? Enfin, si tu veux hein. » Une fois de plus –mais c’est une habitude- Lily-Rose lève la tête vers Faith en glissant un léger sourire sur ses lèvres. « Pourquoi pas ? J’ai déjà un paquet d’indications à suivre et d’exercices à appliquer, mais si tu peux m’apporter quoique ce soit qui puisse m’aider à refaire fonctionner mes jambes, je suis preneuse. »

Pour remarcher un jour, Lily-Rose prend tout. Elle ne laisse rien au hasard et se donne toutes les chances. D’autant plus qu’elles sont maigres. Mais en attendant… « Est-ce que tu peux tenir ton chien le temps d’aller dehors s’il te plait ? Il ne m’aide pas vraiment à avancer actuellement… » Et c’est peu dire. Romeo a apparemment compris leur destination et s’est posté devant la porte. Et Lily-Rose n’a pas assez de marge de manœuvre depuis son fauteuil pour l’éloigner tout en ouvrant la porte.