Il venait de terminer de faire son tour d’horizon de la propriété du Palais de Blenheim. Désormais, Chester pouvait s’accorder une pause bien méritée et il errait donc un peu à travers les couloirs de ce grand établissement hors du commun. Bien évidemment, il avait songé à s’occuper de ses oiseaux, pendant ce temps ; mais il les avait déjà entrainés hier et il était encore un peu tôt pour le moment. Il voulait que ses précieux amis à plumes se reposent le plus possible avant de tenter quoique ce soit. C’est ainsi qu’il avait échoué, plus ou moins volontairement, dans la salle des arts du grand bâtiment.

Il ne mettait que rarement les pieds ici, mais présentement il cherchait surtout une excuse pour s’occuper l’esprit. Pas spécialement déprimé pour autant, il avait surtout du mal avec la notion d’ennui. Il ne l’appréciait que très modérément.

Sans doute un peu trop fouineur – il ne savait même pas s’il avait le droit de venir fourrer son nez par ici, mais bon, honnêtement, les règlements et lui… - il avança encore un peu entre les créations des élèves spécialistes en art, là, ces Artist Alley. Quel nom stupide. Mais bon, il garda cette réflexion pour lui.

Parvenu devant un sorte de grand drap qui semblait dissimuler quelque chose, le Montugen ne put se résoudre à rester ainsi statique. Il avait un peu besoin de faire une connerie, semblait-il. C’est ainsi qu’il s’empara dudit drap et tira dessus, tout simplement. Là, une statue apparu devant ses yeux. « Wow. » Il haussa un sourcil avant de déclarer. « Eh bah c’est franchement moche. »
Chester, tout dans la délicatesse. Ou pas.

Le pire qui aurait pu arriver à Chester, présentement, aurait sans doute été de se retrouver confronter au propriétaire de cette statue ô combien laide – de son point de vue. Parce que bon, il avait tout de même reçu une éducation qui voulait que la politesse ne soit pas oubliée. Probablement se serait-il excusé rapidement, sans vraiment y mettre les formes- après tout ce n’était pas de sa faute à lui si la fameuse sculpture ne li arrachait rien sinon un dégoût un poil trop prononcé.

Sauf que lorsqu’il fut interpellé, ce fut par un illustre inconnu – mais un gamin à n’en pas douter une seule seconde. Un étudiant, donc. Étrange, il dénotait avec la plupart de ses camarades, celui-ci. Mais il paraissait savoir ce qu’il voulait en tout cas ; c’était donc tout à son honneur. Chester eut cependant un sourire narquois. Il allait profiter un peu de la situation et du trouble du jeune homme pour passer le temps.

Eh, qui n’a jamais plaisanté aux dépends d’autrui, après tout ? Et puis il n’allait pas lui chercher querelle trop longtemps non plus ; après tout s’il pouvait aider. Aussi, Chester s’approcha du damoiseau avec une démarche élégante et féline – merci sa relative petite taille… - pour venir se poster devant lui, un air taquin gravé sur ses traits. « Oh, alors comme ça, tu as besoin de mon corps pour… dessiner ? » Il passa ensuite l’une de ses mains sous le menton de l’arrivant, rendant la scène d’un point de vue extérieur sans doute encore plus gênante. « Pourquoi pas, après tout ça fait bien longtemps que je ne me suis pas laissé observer sous toute les coutures… Tu veux faire ça à la Jack dans Titanic ? »

Lui ? Gênant ? Si peu !

Il ricana, son petit numéro d’imitation n’avait apparemment pas su séduire son –trop – jeune public. Soit, pas de problème. « Détends toi gamin, t’as pas ce qu’il faut pour me plaire de toute manière alors on arrête d’afficher une tête de hurleur digne de la saga Harry Potter, ça va être perturbant pour rester statique sinon. » Puis, Chester ôta donc sa chemise, suivit bientôt de son jean délavé. Ses vêtements furent ensuite pliés et mit sur le sommet d’un bloc de granit encore vierge, prêt à l’emploi. En attendant d’être taillé, il pouvait bien servir de portes habits, non ? Bien sûr que oui.

Enfin, Chester se remit debout, une main posée négligemment sur une hanche. « Comment veux-tu que je m’installe ? » Debout, assis, en tailleur… Il y avait plein de possibilité et lui, il était joueur et appréciait l’originalité. Il était la muse qui attendait de se faire guider. Et comme il avait un peu de mal avec le silence, il se mit à chantonner. “Push me, and then just touch me, till I can get my satisfaction.”

Benni Bennassi, Satisfaction. Mais bien sûr, comment rendre le contexte encore plus louche, évidemment.

Ok, il avait eu le mérite de le faire rire, donc c’était suffisamment pour que Chester ne cherche plus à se jouer de lui - pour l’instant – et se prête volontiers à l’exercice. Il lui devait bien ça, après tout. En plus, très honnêtement, en lui retirant plusieurs points évidents, le blafard se rendit comme que ce damoiseau lui faisait un peu penser à lui…. Avant. Le lui qui vivait dans la troupe de cirque sans que rien ne vienne troubler sa tranquillité. Le lui d’avant ça. Il sera un instant sa mâchoire, ce n’était pas le moment de se laisser aller à des broutilles de ce genre. Enfin, broutilles… Disons plutôt des choses qui n’avaient rien à voir avec le reste.

Sauf que Chester est un animal curieux, comme un rapace. Peut-être est-ce pour cela qu’il les aime tant, au fond. En eux il se reconnait sans doute un peu. Beaucoup de réflexions en peu de temps ; il préfère dévier de sujet pour le moment. « Dis voir, à moins que je ne me plante sur toute la ligne mais… Tu ne me semble pas vraiment être du coin, non ? Tu viens d’où ? »

Il avait perçu un accent, mais définir d’où il venait était déjà autrement plus compliqué. Chester n’était pas un érudit, ni un grand penseur. Il faisait simplement montre d’un peu plus de soif de connaissance qu’autrui ; voilà tout.

Ah. Un français, donc. Petit garçonnet issu d’un pays courtisé par tant d’autres pour sa culture, son histoire et tout le reste – les USA ne faisant pas non plus exceptions, après tout combien d’américaines rêvent de se marier à un français ? On ne les compte plus. Bwark. Les gens font bien ce qu’ils veulent, mais cet effet de mode laisse plutôt Chester perplexe.

Surtout qu’en voyant le petit gars attablé à son art, il a du mal à réaliser qu’il vient de ce pays sus-cité plus haut. Enfin bon, lui non plus n’était pas un modèle américain parfait après tout. « Américain. Et Je m’appelle Chester. Et toi ? T’as pas l’air très distingué pour un français si tu me permets l’expression. C’est quoi ton nom ? Louis ? »

Quoi ? Tous les français ne s’appellent-ils pas Louis ? Ah, c’était encore un cliché, donc ?

Chester se permet de rire un peu, plus par amusement que par réelle moquerie, en fait. Ça ne lui servirait à rien, après tout. Comme quoi les clichés sont vraiment des mythes que l’on trimballe partout. Au moins il était fixé sur une ou deux petites choses. Il considérait donc que sa journée avait valu la peine de se lever ce matin – oui, il se trouvait dans une de ces périodes étranges où il lui en fallait peu pour se sentir bien. En revanche…

« Désolé de briser tes rêves mais tu rap très mal. Enfin, si tu essayais de rapper. En plus je n’ai pas compris un traitre mot de ce que tu m’as raconté à propos d’un seizième Champs-Elysées… » Un peu de clarté, c’était trop demandé ? Non parce que lui il faisait le modèle statué, là, pas évident donc d’aller checker internet pour avoir les infos complémentaires.

Ah, oui, il avait l’impression de comprendre un peu mieux, maintenant que le jeune homme passait aux explications – même s’il semblait lutter intensément pour faire une phrase cohérente dans un anglais correct de base, cela dit. Mais cela, Chester ne s’en offusqua pas. Après tout, il n’avait pas non plus la prétention de croire qu’il avait un anglais irréprochable, loin de là d’ailleurs.

Aussi, il changea un peu de position à la demande du petit génie créatif « Comme ceci ? » Une lance… Il n’en avait jamais tenu une de sa vie, lui ! Des couteaux, lui. Mais pas des lances. Il espérait donc que ses vagues souvenirs de films de guerres anciennes allaient pouvoir se mettre à contribution.

Quelque chose intrigua cependant le blandin, qui voyait là, peut-être, une fibre commune entre lui et ce garçon des plus étranges. « Donc, les Champs-Elysées c’est… Un peu comme Las Vegas ? » S’il avait bien comprit et que son raisonnement se tenait, alors peut-être que l’idée qu’il se faisait serait fondée.

Au final, il se plaisait plutôt bien avec ce môme. Il le faisait marrer avec ses exigences d’artiste contrarié. Et dire qu’il aurait pu être presque pareil, il y a quelques années. Mais bon, il avait fait le choix de refuser cette lettre de Blenheim et, honnêtement, il n’avait jamais regretté ce choix. Pas une seule fois. La vie de cirque lui convenait bien plus à l’époque que tous ces rassemblements mondains. Et c’était toujours un peu le cas, au fond.

Alors, non sans avoir baillé ostensiblement avant, Chester s’inclina de manière à convenir au dessinateur en herbes. Il était curieux, tout de même, de savoir ce à quoi Paris pouvait bien ressembler. Il n’y avait jamais été. Enfin, bien sûr qu’il avait déjà visité la France, mais c’était avec son cirque, les choses étaient différentes, il n’y avait jamais fait de tourisme.

« Racontes m’en un peu plus sur ces Champs et tout le reste. Je connais mal la France. » Et puis, au moins, ça meublait la conversation.

En moins de cinq minutes, Chester avait appris plus de choses sur Paris et la France qu’au court de toute sa vie. Il songera à creuser un peu plus le sujet. Peut-être. Un jour. Quand il aurait le temps – et la motivation, surtout – d’ouvrir un livre à ce sujet. Quoi que… Avec internet ça irait sans aucun doute plus vite et il y aurait plus d’info sur une seule page web que sur n’importe quel bouquin disséminé ici-bas au sein du Palais et ailleurs.

Mais une chose avait attiré son attention plus que d’autres. « Dis-moi… C’est une impression ou bien vos noms de places et autre lieux importants sont toujours très… tape à l’œil ? Vous autres français avez donc des choses à compenser à ce point-là ? » Non mais c’était vrai, ça, quand même ! Et puis ce n’était pas de la provocation. Loin de là. Simplement une espèce de curiosité à demi-teinte. Quelque chose dont il se demandait si cela allait faire réagir le jeune homme non loin de lui ou au contraire, le laisser de marbre.

Évidemment, Chester avait une nette préférence pour l’une des deux options. Car on ne pouvait chasser indéfiniment le naturel, il revenait systématiquement au galop.