Le voici, presque étendu sur l’herbe bordant le lac du Palais de Blenheim. Un bras passé derrière la tête, l’autre au-dessus de son visage pour maintenir le dernier ouvrage littéraire qu’il était supposé s’approprier tout entier, Benjamin laissait la brise jouer nonchalamment avec ses cheveux blonds. Le soleil était présent, mais pas suffisamment pour devenir désagréable et aveugler, ce qui était, en soit, une très bonne chose. Au loin, portés par le vent, l’on pouvait entendre les divers bruits des troupeaux de moutons qui se baladaient dans les champs jouxtant la grande propriété. Un véritable air de campagne, en somme.

Mais en Angleterre.

Et avec des températures bien moindres.

Mais bon, malgré tout, le Perrault appréciait cet endroit, qui lui rappelait vaguement celui où il avait grandi durant la majeure partie de sa vie, dans le Sud de sa très chère France tant aimée. Ah, et dire qu'il était supposé y retourné sous peu il n'y a pas si longtemps... Les choses avaient bien changées depuis son arrivée ici. La roue tourne, certes, mais ces six dernières années, il devait bien avouer qu’il ne les avait pas vue passer, discrètement, les unes après les autres. Peut-être la présence de son frère y était pour beaucoup là-dedans. Plus les autres personnes importantes pour lui, ici. Qui pouvait savoir. Et dire que bientôt, il officierait lui aussi en tant que professeur ici bas. C'était à la fois grisant et déconcertant.

Dans tous les cas, il se dit que savourer les derniers moments qu’il allait devoir passer ici.

Bientôt, il laissa le livre ouvert se poser sur son visage, en humant l’odeur ancienne qu’il adorait tant. Aller, une petite somnolence n’avait jamais tué personne après tout. Qu’est-ce qu’il risquait à se laisser un peu aller, ici ? Pas grand-chose, selon lui. Il ne voyait pas qui serait susceptible de le déranger.

Pour l'heure, il profite d'une petite pause dans sa formation professorale pour s'évader un peu.

La reprise des cours était toujours délicate et cette fois-ci ne faisait pas exception. Un été de plus, une année de plus même, Ryan voyait la fin de son parcourt arriver doucement. Pourtant, il prenait les choses plutôt sereinement ce qui, le connaissant, était un exploit en soit. Peut-être avait-il gagné en maturité ces derniers temps, les vacances auraient servis à quelque chose finalement ? Difficile à croire. Le pauvre avait certainement dû se cogner la tête dans un coin reculé avant de revenir sur Blenheim, c’était la réponse la plus probable et pourtant.

Il avait eu du mal à se concentrer c’était un fait, ses pensées étaient encore chez lui avec ses parents et ses adorables sœurs qui grandissaient à vue d’œil. C’est à les voir qu’il se rendait compte à quel point le temps filait et combien le temps qu’il lui restait ici était insignifiant. Impossible d’en parler avec les autres, trop absorbés avec leurs récits de vacances alors que lui était là à se poser des questions. Ca ne lui réussissait pas !

Une fois n’est pas coutume, il décida de faire un tour seul dans cette immense propriété qu’était Blenheim et ses alentours. Bizarrement, il avait du mal à savoir comment se comporter depuis son retour et, ca le tracassait un peu. C’était presque effrayant de le voir si sérieux au fond …

Soudain, quelque chose le ramena à la réalité, une silhouette en contrebas qui lui rappela une fois de plus que les choses seraient différentes. Cette personne c’était Benjamin. Le Real Fake s’approcha quelque peu furtivement de son ami et sans prévenir, entama la conversation.

« Alors c’est comme ca que l’on bosse ? C’est du beau les formations pour être prof ! »

Et a ses mots, il rigola comme il l’a toujours fait de manière naïve et innocente ! Il le charriait comme il avait déjà pu le faire des dizaines de fois et ce, bien que leurs statuts aient changés. Malgré tout, ils restaient amis.

S’il avait été pleinement endormi au moment où il s’était fait interpellé, sans doute Benjamin aurait-il sursauté franchement lorsque la voix de Ryan s’était fait entendre. Heureusement pour lui, ce ne fut pas le cas et il se redressa donc avec un sourire semblable à celui de son camarade sur les lèvres. Il lui répondit avec la même genre de franchise humoristique. « Et c’est comme cela que tu prépares ta nouvelle année au Palais ? C’est du beau ! A peine rentré que déjà tu flânes ! C’est vraiment pas sérieux, tout ça ! »

Un rire puis il reprit. « Je plaisante. Comment tu vas ? Tu es rentré aujourd’hui ? » Il connaissait un peu la situation familiale de Ryan, aussi espérait-il que ce dernier ait pleinement profité de son séjour – même si le contraire aurait été plus qu’étonnant. Benjamin s’étira alors, répondant seulement maintenant à la petite ‘pique’ de l’autre blond « Eh, je voudrais bien t’y voir, moi ! Tu n’imagines pas à quel point c’est difficile de se faire former sur seulement deux mois voire même un peu moins. J’apprends énormément et ça me plaît beaucoup, je ne dis pas ; mais bon, ça reste intense ! Du coup, oui, je profitais d’un petit moment rien qu’à moi pour avoir un peu de répit. C’est que bientôt je vais devoir corriger tes copies et toi tu devras m’appeler Monsieur Perrault, ahah. »
Il ne pouvait s’empêcher de rire rien qu’à imaginer la scène. Malgré tout, il y avait une part de vérité dans ce que le français venait de dire. Car oui, les relations qu’il entretenait auparavant avec les étudiants plus jeunes que lui devront se faire plus formelles désormais. Tout du moins, dès lors qu’il serait à l’intérieur du Palais avec eux, en qualité d’Hellhound.

La vie était ainsi faite. Le changement n’était jamais épargné et les mutations de relations devenaient monnaie courante, surtout ici. Etait-ce un bien ? Un mal ? Benjamin n’aurait su le dire. Tout cela était sans doute affaire de point de vue, après tout.

C’est qu’en plus il se moquait ! Gentiment, certes, mais Benjamin percevait tout de même le ton ironique de la chose rien qu’à l’écoute. Il n’avait même pas eu besoin de regarder Ryan au moment dit pour le comprendre. Mais cela ne le dérangeait pas tant que ça ; il était habitué aux facéties du Real Fake. S’il n’avait pas apprécié ce côté-ci de sa personnalité, il ne l’aurait probablement jamais compté comme faisant partie de ses amis ; la logique restait présente malgré tout. Alors, même si extérieurement parlant, Benjamin et Ryan pouvaient parfois donner l’impression de se chercher la petite bête, il n’en était rien, en réalité. Et cela, peu de personnes étaient à même de le savoir, de le comprendre.

Ryan faisait sans aucun doute possible partie de ses meilleurs amis.

Taquin, Benjamin se mit donc en tête de faire basculer Ryan à terre en le poussant, peut-être un peu plus brusquement que ce qu’il avait souhaité au départ. Il voulait surtout le foutre face contre l’herbe, histoire de lui faire comprendre que le silence, parfois, était d’or. Un rire et il délia plus franchement ses lèvres, cette fois. « Ne prends pas tes acquis pour une réalité ; tu pourrais bien tomber de ta tour d’ivoire, un jour prochain ! » Sous-entendu pour le moins très clair qu’un jour ou l’autre, il finirait par l’avoir, sa revanche au basket ; non mais !

« Oui, ça me plaît beaucoup, c’est ce que je retiens le plus. Et toi, eh bien je compte sur ta personne pour briller dans ma matière. Comme tu l’as si justement souligné, les autres professeurs seront impitoyables avec moi ; alors je ne vais pas me priver de me mettre à leur niveau pour la notation. Tu ne m’achèteras pas, ahah ! » Un peu d’humour ne faisait jamais de mal. Au fond, Benjamin stressait tout de même beaucoup du fait de sa relative inexpérience. Preuve en était, il faisait tourner la bague de ses fiançailles récentes autour de son doigt avec son pouce.

C’était une habitude qu’il avait prise depuis peu.

Il l’encourageait et comme seul remerciement, voila que Benjamin venait de lui faire manger de l’herbe ! Sérieusement ? Il venait de le pousser brusquement et de lui mettre la tête au sol mais franchement ca faisait mal ! Pourtant, il rigolait et le charriait de nouveau et naturellement le Real Fake n’était pas en reste. Le faire tomber de sa tour ? Oh non, ce n’était pas pour tout de suite !

« Et bien mon vieux, t’y a pas été de main morte ! »

Se redressant comme il le pouvait en poussant son ami, Ryan se massa la joue en geignant tel un enfant, oui décidément ca faisait vraiment mal ! Comme s’il pouvait laisser les choses se dérouler comme ca, c’était mal le connaître mais surtout plutôt amusant à bien y penser. Ainsi, il continua sur sa lancée, presque aussitôt.

« N’empêche pour revenir dans la course, il faudrait que tu te dépenses un peu et que tu ais du temps à nous accorder monsieur Perrault ! Non parce que je dis rien, mais vu la façon dont tu t’es rué sur moi pour me mettre à terre je commence à me demander si tu n’as pas des problèmes avec la demoiselle hein ! »

Il le cherchait ? Absolument ! C’était toujours drôle de s’en prendre à Ben, surtout que c’est celui-ci qui commençait la partie ! Et avec ca, non peu fière de sa blague, le petit blond le regardait avec un petit sourire en coin. Dieu sait que ce genre de conversation il ne pourrait plus l’avoir au milieu des couloirs de Blenheim, c’était quelque peu nostalgique au fond lorsqu’il y pensait. Ceci dit, il était temps d’être sérieux de nouveau et de retomber sur une discussion un peu plus censée.

« Ceci dit, si je ne brille pas, tu m’enverras en colle ? Pas que tu m’impressionnes mais jusque là je ne m’en sors pas si mal ! »

Il s’en sortait oui, mais toujours en dernière minute et ca, Ben devait très bien le savoir ! Parfois Ryan signait son arrêt de mort en donnant sa propre corde. Enfin, tant qu’il était dans la moyenne, il ne l’aurait pas sur le dos ! Ce serait mieux d’ailleurs !

« Plus sérieusement, montre leur que tu peux y arriver ! »

Benjamin avait été tellement surprit par la réplique de son –ancien – camarade étudiant qu’il ne put s’empêcher d’en rire franchement. « Toujours aussi relâché sur certains sujets à ce que je vois, Ryan ! » Mais ce genre de choses, de comportement, lui faisait vraiment du bien. Il prenait une bouffée d’air frais. Il était mine de rien sous pression depuis près d’un an et demi maintenant que sa formation avait débuté en Juin de l’année passée et allait s’achever là, en septembre.

Et puis… Beaucoup de choses se bousculaient également dans sa tête. Son emménagement avec Kaelen était encore tout récent et son projet de roman avançait petit à petit. Il ne voulait pas non plus se presser ; tout mener de front aurait été pire que contre-productif et il le savait. De plus, pour ne rien ‘arranger’, il était en plein dans les préparatifs de son mariage et Dieu savait que cela lui prenait beaucoup de temps et d’énergie – notamment parce qu’il devait tenir sa mère le plus calme possible en vue des prochains évènements. Non pas que son optimisme à ce sujet soit dérangeant pour le français mais sa mère avait tendance à prendre ce genre de choses à cœur…. Très à cœur. Trop à cœur, oui, très certainement.

Bref, tout un tas de choses auxquelles penser. Mais il ne se laissait pas miner le moral pour autant.

« Contentes toi de ne pas être un élève trop chiant et j’aviserai pour la suite, mon grand ! » Inspiration, expiration. « Je compte bien faire de mon mieux et plus encore. Je veux prouver qu’ils n’ont pas eu tort de me donner cette chance. Je ne pense pas rester professeur ici éternellement, mais au moins quelques années… Peut-être le temps que je mette au point mes premiers romans, va savoir. »

Il avait tant de projets et pas assez d’une vie pour tous les réaliser, sans doute.

Il fallait bien connaître Ryan pour comprendre que son apparente désinvolture et son relâchement de compétition n’étaient en réalité que de la poudre aux yeux – tout du moins, pour ses véritables amis, après, Benjamin n’aurait eu la prétention de dire s’il se comportait de la même manière avec tout le monde. Et de toute manière, ce n’était pas vraiment important, au fond. L’essentiel restait qu’il se sente à l’aise auprès de l’anglais et que ce dernier le soutienne. Il était, réellement, son meilleur ami. Et rien ne semblait être capable de changer cela. Tant mieux. Car Benjamin avait toujours besoin de ce petit point de repère qui le raccrochait à ce qu’il avait été avant de commencer sa formation de professeur de français.

Il s’étira, venant se coucher franchement dans l’herbe, cette fois.

« Je n’y manquerai pas. Tu seras mon bêta-lecteur, puisque c’est comme ça, pas le choix ! » Il rit. Au fond, si Ryan ne se sentait pas de relire chacun de ses ouvrages, ce n’était pas un drame. Mais rien que la proposition du Real Fake avait sincèrement touché le professeur en devenir et il se sentait d’y répondre. « C’est promis, dès que je peux m’y atteler sérieusement et que je suis satisfait du ‘premier jet’, je te soumettrai le manuscrit et tu pourras me dire ce qu’il en est. Et surtout, il ne faudra rien m’épargner, d’accord ? Si je veux m’améliorer, il faut être le plus objectif possible, quitte à dire des choses déplaisantes. » Après tout, le Perrault savait que rien n’était acquis dès les premiers écrits. Il devrait être dur avec lui-même pour espérer arriver à ses fins.

Le sujet dévia ensuite sur sa fiancée. On pouvait dire qu’au moins, Ryan n’était pas avare de sa salive, aujourd’hui. S’étirant de nouveau, le plus âgé des deux lui répondit tout en regardant le ciel : « Oui, ça fait presque un an maintenant que l’on vit ensemble ; j’apprécie énormément. Ça me change du palais ou même de chez moi, en France, mais ça a un côté rafraîchissant. On est en train de plancher sur plusieurs préparatifs, en plus, en ce moment. » Il ne pouvait cependant pas trop en dire, les secrets les mieux gardés faisaient les meilleures surprises, après tout.

Il le savait, il pouvait toujours compter sur Ryan pour garder son naturel et sa tête ‘froide’ – façon de parler mais lorsque l’on connaissait ledit jeune homme, on savait donc qu’il était capable de plus que ce que l’on aurait pu penser alors. Simplement, il ne le montrait pas suffisamment… Peut-être ? C’était une chose qu’il aurait sans aucun doute possible le temps de développer à sa manière et à sa mesure. Benjamin ne doutait en aucun cas des compétences de son ami et, même s’ils n’avaient que peu souvent aborder le sujet des projets de vie futurs, il savait le Wilson parfaitement capable de réaliser ceux auxquels il tenait.

En revanche, s’il essayait de grappiller des informations au sujet des préparatifs, il était mal tombé ! Car même si Benjamin estimait hautement Ryan, il n’était pas non plus question de cracher le morceau devant lui. Pas encore. Il devrait s’armer de patience pour cela aussi. Prit dans son élan, le français décida de jouer au jeu du plus malin – ou du plus bête, tout était au fond une question subtile de perspective. Se relevant pour échappant aux picotements du bâton, le Perrault éclata d’un rire sincère. « On verra pour ce genre de choses quand tu seras plus grand et… en âge de comprendre ! Certaines choses ne doivent pas être divulguées aux enfants, tu vois ce que je veux dire, j’imagine, ahah. »

Il le prenait pour un imbécile ? Un peu, oui, c’était fort possible. Mais dans l’absolu, les deux blonds partageaient un moment de détente plus qu’appréciable, entre amis ne s’étant guère vu depuis longtemps. Le réconfort était là, quand bien les obligations n’avaient pas, pour autant, quittées Benjamin d’un iota. « Bon, vu l’heure, je ne vais pas tarder à devoir repartir, du coup. La formation n’attend pas. »