“Non, ce n’est absolument pas ce que je veux. Maman le sait, elle-... Ecoute, je vais le rencontrer de toute façon, mais je préfère te mettre au courant tout de suite : ça n'aboutira à rien. C’est moi qui choisirai, point.”

Cassie raccrocha, et posa son téléphone loin d’elle, sur la table du café où elle s’était installée. Il se remit à sonner, une fois, deux fois ; elle l’ignora. Cette conversation, elle l’avait déjà eue au moins une dizaine de fois, et elle ne changerait pas de position. Hors de question pour elle d’épouser quelqu’un qu’elle n’aime pas. Et elle ne le connait même pas ! Pour faire plaisir à ses parents, elle avait accepté de rencontrer ce Connor, mais elle avait surtout très envie qu’il soit également de son avis. Ils pourraient ainsi faire pression pour révoquer le mariage, ou monter un plan pour tout supprimer de façon dramatique. A voir.
Bref.

Cassie souffla sur sa tasse, lorsqu’enfin quelqu’un se présenta à sa table. En le reconnaissant, elle se leva de son siège et tendit la main.

“Connor de Péval, je présume. Je suis Cassandra. Nous avons à parler.”

Connor n’avait pas forcément envie de se retrouver dans cette situation ; mais il s’y attendait. Etant donné les penchants de sa mère pour les rites de la noblesse, il était quasiment certain qu’il n’avait pas d’autres choix. Donc, il se rendit au lieu de rendez-vous, arriva, jeta un regard circulaire.
Cheveux roses. Taille fine. Tout ce qui inspire la douceur. Quel charme, ma foi. Divin.
Il avança, sourit, puis fixa la main. De Péval hésita un moment. Vu la manière royale qu’elle avait de lui adresser la parole, autant faire dans les règles de l’art. Il rougit, se baissa, lui baisa la main et s’assied aussitôt après. Oui. Il rougit.

» Enchanté, Cassandra.
Sourire aux lèvres, effectivement, ils avaient à parler.
» J’aurais apprécié que notre rencontre se fasse sous d’autres circonstances- ... autre qu’un rendez-vous arrangé pour un mariage arrangé. Assez vieux jeu si vous voulez mon avis.

Cassie écarquilla les yeux. Allons bon, d’où sortait-il, celui-là, pour lui faire un baisemain, alors que clairement elle ne souhaitait qu’une poignée de main amicale ? Elle se laissa faire avant de se rassoir, tout de même, afin de ne pas le blesser ou le ridiculiser dans le café entier. D’autant qu’ils avaient tout intérêt à coopérer, tous les deux.

“Je suis tout à fait d’accord, et je suis ravie de vous l’entendre dire. Franchement, quelle idée farfelue a pu traverser l’esprit de nos parents ?” s’exclama-t-elle avec indignation. Elle glissa une mèche de ses cheveux derrière son oreille, puis prit sa tasse entre ses mains, les joues toujours quelque peu rosies par le geste du jeune homme, quelques instants plus tôt.

“Tout de même, cela me rassure que nous ayons le même avis sur la chose. Comprenez-moi, ça n’est pas contre vous, mais il est inenvisageable pour moi de me marier à un parfait inconnu.”
J’attends le grand amour, voyez-vous, se retint-elle d’ajouter. Elle lui jeta un petit coup d’oeil, pour tenter de jauger ses réactions. Il fallait qu’ils soient ensemble, sur ce coup-là, sinon comment ébranler la conviction de leurs parents qu’ils étaient faits l’un pour l’autre ?

Idée farfelue ? C’était peut-être un peu exagérée. Ou alors lui, qui était beaucoup trop brainwash par sa mère pour se rendre compte que rien de ceci n’était ordinaire. Il devait toutefois se rendre à l’évidence. Cassandra ne voulait pas de ce mariage.
Et ça ne l’arrangeait absolument pas. Il se contenta d’acquiescer, pensif, jugeant ses mots, jugeant leurs conséquences.
» C’est parfaitement normal, j’imagine. Devoir partager sa vie avec un parfait inconnu, sans même connaître son signe astrologique. Sans même connaître beaucoup de choses, en fait.
Il empêcha un petit rire d’échapper ses lèvres. Pourquoi parler des signes astrologiques de toutes les choses ... Alors qu’il y avait beaucoup de choses qu’on ignorait ; comme la possibilité qu’elle soit une tueuse en série ou lui un prince en quête du grand amour.
» Je dois, toutefois, vous avouer que ... Je n’étais pas contre ce mariage.

Cassie hocha vivement la tête, un air très sérieux sur le visage. En tant que sagittaire, comment pouvait-elle envisager d’épouser quelqu’un sans connaître son signe astrologique auparavant ? Les étoiles témoigneraient sûrement leur opposition si le signe astrologique de son époux ne lui convenait pas.
Toutefois, Cassie l’écouta parler jusqu’au bout.
Puis sa machoire se décrocha.
Il était prêt à l’épouser, elle, une jeune fille qu’il ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve ?

Élégamment, elle prit sa serviette, tamponna ses lèvres pour les essuyer, puis la reposa près de sa tasse.

“Je vous demande pardon ?” dit-elle d’un ton interloqué, en quête d’explications.

Oh mais Connor lui pardonnait ! Il n’y avait pas à demander. De toute façon, il ne saurait même pas expliquer lui-même le fond de sa pensée. Alors, il prit son temps. Il rassembla ses mots et il espérait que la demoiselle ne brûlerait pas littéralement d’impatience vu l’attente.
» Ecoutez, ça n’a ... rien à voir avec des vœux d’amour. Et c’est peut-être mieux ainsi. C’est réaliste, quoique triste, je vous l’accorde.
Il ne voulait pas s’enfoncer plus que ça dans le sujet ; et il était évident que lui et elle n’avaient absolument pas la même vision.
» Dans tous les cas, je ne peux pas vous obliger mais je peux toutefois vous demander du temps. Si le problème vient du fait qu’on ne se connaisse pas assez, nous pouvons essayer. Alors, vos parents- mes parents, n’auront plus aucune excuse à donner.

Silencieusement, Cassie écouta. Elle nota les arguments du jeune homme dans un coin de sa tête. Elle nota sa rationalité, son côté terre-à-terre qui ferait que, malheureusement, elle ne pourrait jamais voir cette arrangement comme un calcul froid destiné à rendre plus prestigieuses encore des familles de renom.
“Je comprends votre point de vue.” dit-elle. Elle ne comprenait pas du tout. Calmement, posément, elle rassembla ses esprits, et, le visage impassible, elle reprit la parole.

“Il se trouve cependant que je ne me vois pas réfléchir à ces choses-là sans me poser. Je... N’y voyez là aucune inimité, il ne s’agit en rien d’une insulte à votre égard. Mais…”
Elle s’interrompit, semblant chercher ses mots.

“Je suis jeune. Je ne suis encore jamais tombée vraiment amoureuse. Et je ne voudrais manquer cela pour rien au monde. Sans vouloir vous vexer, si je m’attachais dès maintenant à une union froide et calculée, il me faudrait me forcer, et je m’en voudrais toute ma vie de n’avoir pas cherché plus loin.”

Elle comprenait. Vraiment ? Connor se permit de douter mais il se contenta de sourire, presque soulagé de voir qu’elle ne partait pas en hystérique. Malheureusement, il ne connaissait pas assez sa compagne pour se faire une idée de comment il devait aborder les choses. De toute façon, du peu qu’il pouvait tirer, elle était assez attachée à son fantasme du grand amour. Ce qui en soit était mignon et naïve.  Adorable.
» Je ne veux pas que vous vous forcez. C’est pour ça que je vous demande juste du temps. Qu'on apprenne à faire connaissance. Que vous sachiez que mon signe astrologique est poisson et que je sache ce que vous aimez faire de votre temps libre. Voyez ça comme un temps ‘mort’ pour que nos familles respectives arrêtent de nous en parler toutes les 12 heures.
Mais bordel, pourquoi elle ne pouvait pas juste jouer les gentilles filles à maman. Ce n’est pas comme si elle avait quelque chose à perdre. Si elle voulait chercher le grand amour à côté, à la sauce rouge et noire, c’est pas lui qui allait crier au diable.
» Ou alors, il nous suffit de prendre ça comme il l’est, réellement. Un engagement platonique pour lier deux familles influentes. Dans ce monde, il suffit seulement de préserver les apparences. Ce qui se passe derrière la scène, importe peu.
Vraiment adorable.
Il sourit.

Remise de ses émotions, Cassie lui adressa un sourire d’excuse, puis croisa les mains sur la table, juste devant sa tasse. Droite et fière, elle se redressa sur sa chaise.

“Votre vision des choses ne me plait pas. Un engagement platonique, et les deux parties peuvent batifoler allègrement dans le dos de leur compagnon ? Vous vous moquez de moi. Certes, c’est la façon de faire de nos parents, sans doute même de nos grand-parents. Mais jamais je ne m’abaisserai à un mensonge d’aussi grande envergure.”

Elle planta son regard dans celui de son interlocuteur. Son adversaire ? Et elle se voulait inébranlable. Pas une fois, elle ne lui laissa le temps de lui couper la parole.

“Vous me paraissez être une personne censée. Apprendre à se connaître, volontiers ! C’est ainsi que se forment les plus grandes amitiés, et plus si affinités. Mais participer à une mascarade toute ma vie pour plaire à papa-maman ? Non merci. Au cas où vous ne l’auriez pas compris, je ne suis pas d’accord avec votre proposition abjecte et archaïque.” déclara-t-elle sur un ton égal, un sourire poli aux lèvres, sans hausser le ton ni faire de grands gestes inutiles. Calmement.

Connor avait fait une erreur. Il avait réalisé beaucoup trop tard que son interlocutrice se noyait dans ses propres rêves utopistes d’amour et de pureté. La blague. Une gamine qui cherchait à parler comme une grande. Une des raisons pour lesquelles il a toujours haï les disneys, comme il haït le monde et particulièrement, ces conneries.
» Raudwrol. Vous pouvez croire ce que voulez, ça ne changera rien à ma vie, ni au monde. Mais, faites attention à vos mots. Si vous voulez fuir vos propres responsabilités, allez-y. Mais ne dites pas de ceux qui ont le courage de rester qu’ils s’abaissent.
Son regard se planta dans celui de la plus jeune, ne la quittant même pas un instant. Il ne pouvait pas se le permettre. Comme elle ne pouvait pas se permettre d’attaquer personnellement trois générations d’affilée.
» Même si je serais bien heureux de participer à votre quête de drame, je pensais avoir été le plus respectueux envers vous. Ce qui me chagrine, c’est que cela n’était pas partagé. Vous excuserez alors mes propos abjects et archaïques. Tout le monde ne peut pas partager votre vision rose du monde.
Ses yeux se posèrent instinctivement sur les cheveux de la dame ; il ne put cacher son rire pour le coup. Connor se contenta de poser l’argent pour leur commande sur la table avant de la saluer une dernière fois. Not his fault. He’s done what he could. Mademoiselle n'aura qu'à assumer, seule, ces conneries.

Avec un sourire à la limite du narquois, elle l’écouta lui répondre avec acidité. Dieu qu’il avait l’air attaché à ses traditions. Ce devait être difficile de vivre dans la peau de Connor de Péval, qui ne faisait que vivre une vie régie par les autres, se disait Cassie. Elle se retint de rire. Faire face à ses responsabilités ? Plaire à la famille du blond n’en était pas une. Elle n’était là que pour refuser, voire résoudre à l’amiable ce conflit léger. Mais visiblement la conversation seule ne suffirait pas.

Satisfaite, Cassie le regarda s’éloigner. Elle s’empressa ensuite d’appuyer sur le bouton “arrêt” de son téléphone, pour stopper l’enregistrement, qu’elle envoya ensuite en copie sur le chat de groupe des Real Fakes. Elle ajouta un peu d’argent au règlement qu’il avait effectué, en tant que pourboire. Elle devait bien ça aux serveurs qui, malgré tout, devaient avoir passé une après-midi des plus mouvementées, digne de grands soap operas, en réalité.