Lily-Rose est de mauvaise humeur. Dans le sens humeur massacrante d’une journée qui a mal commencée et que rien n’améliore. Ca avait commencé au réveil, sans raison particulière. Peut-être simplement sa colère intérieure, celle que Lily-Rose couvait en permanence, qui était remonté à la surface sans qu’elle ne parvienne à la cacher comme elle le faisait habituellement. Et rien n’était venu ensuite éclaircir sa journée.

Lily-Rose est de mauvaise humeur. Rien ne s’arrange alors qu’elle observe ce qu’un illustre inconnu lui a offert à noël pour une raison quelconque. Une boite. Une boite contenant un kit de moteur pour fauteuil roulant. Lily-Rose se demandait si c’était une mauvaise blague chaque fois qu’elle le voyait.

Un mois après l’avoir reçu, Lily-Rose se dit qu’elle devrait peut-être s’en occuper. Une fois pour toute. Si ça marche, tant mieux. Si ça marche pas, tant pis. Poubelle. A moins qu’elle le revende ? Ce qu’elle a entre les mains vaut bien quelques milliers après tout…

Mais en même temps un moteur ça peut aider.

Lily-Rose s’est calée dans la grande buanderie du palais, avec sa boite et une caisse à outil. Pas certaine de ce qu’elle va faire. Paumée dans la façon dont elle doit s’y prendre. Mais prête à essayer, malgré sa mauvaise humeur.

Au pire, elle pourra toujours passer sa colère dessus en le massacrant dans les règles.

Sa robe bouffante n’est pas la meilleure tenue pour une activité mécanique. Lily-Rose s’en fiche. Elle n’a mieux de toute façon. Installée à même le sol, la boite à moitié ouverte à côté d’elle, son fauteuil placé de l’autre côté, Lily-Rose lit les indications.

Et essaye de comprendre.

Lily-Rose ne s’attendait pas à ce que quelqu’un d’autre ne vienne dans la buanderie. Ce n’est pas la pièce la plus vivante du palais, et c’est bien pour cela qu’elle est venue ici avec son. Cadeau. Alors elle est surprise lorsqu’elle entend la porte s’ouvrir. Quand Lily-Rose lève la tête de son mode d’emploi, elle tombe sur un visage qu’elle commence à bien connaitre.

« Tu fous quoi à terre ? » Bonjour à toi aussi, je vais bien merci de t’en préoccuper.

La politesse est morte. Lily-Rose laisse échapper un regard venimeux. Elle reconcentre son attention sur ce qu’elle a dans les mains. « J’essaye de comprendre cette mer- chose. » D’un geste de la main, Lily-Rose désigne la boite contenant le kit de moteur.

« J’ai reçu ça à noël, et je me suis dit que j’allais peut-être l’installer. » Une pause. Réflexion. « Ou le vendre. » Nouvelle pause. Lily-Rose suit des yeux les consignes du manuel. « Ou le détruire. »

Les mots défilent sous les yeux de Lily-Rose, mais leur sens n’atteint pas son cerveau. La langue aurait put être du français ou du danois, c’eut été pareil. « C'est mieux que de recevoir une crème à base de ...cloporte. Au moins. » Lily-Rose lève la tête et le regarde avec dubitation. Une crème ? L’idée de base est étrange. Lui aussi semble avoir reçu un cadeau étrange. Et puis. Des cloportes ? Drôle d’idée. « Certaines personnes ont des idées étranges… » Lily-Rose marmonne dans sa barbe.

Ce manuel aussi est étrange. Lily-Rose fouille dans la boite pour en sortir des pièces et le fameux moteur. Bon, il n’est pas décomposé en petites pièces, donc ça devrait aller. Mais ça reste de l’expérimentation totale pour elle. Lily-Rose s’organise. Les parties composant le moteur en lui-même d’un côté. Ce qu’elle suppose appartenir aux attaches d’un autre. Le reste, ailleurs.

Si jamais je tiens celui qui m’a offert ça, je le tue.

« Tu veux de l'aide ? Je ne sais pas si je peux vraiment faire quelque chose, mais au pire, détruire ça me connais, étrangement. » A nouveau, Lily-Rose lève la tête, sortant de ses petits tas de pièces mécaniques et électriques. Tim est en train de jouer à l’homme araignée pour attraper un objet en hauteur. Elle feels. Ne pas être à la bonne hauteur, c’est chiant.

Un coup d’œil à ses plans. « Pourquoi pas, en attendant que tes vêtements soient lavés. Mais je veux quand même essayer de le monter avant de le détruire. On ne sait jamais. » Peut-être que Lily-Rose y arrivera et que ce ne sera pas si mal.

Ou alors pas.

« Urgh, je ne comprends même pas comment t'as pas déjà tout balancé. » Lily-Rose jette un coup d’œil à Tim, retourne au mode d’emploi. Silence. Verdict. « ...Moi non plus. » C’est dit. Lily-Rose doit continuer d’espérer. Ou du moins elle n’a pas encore usé toute sa patience.

« Ok, donc j'imagine qu'on doit commencer par... ce gros truc-là ? » Lily-Rose étale les schémas à plat sur le sol, dans l’espoir d’y voir mieux. Elle compare la pièce dans les mains avec ce qu’elle voit. Ou croit voir ? « Je ne comprends pas. Si t'avais besoin d'un moteur, pourquoi ne pas en avoir pris un plus tôt ? »

« En fait, je n’ai pas besoin d’un moteur. Mais…quelqu’un, je ne sais pas qui, m’a offert ça. » Je ne sais pas pourquoi. Je pense toujours que c’est une très mauvaise blague.

Lily-Rose attrape une pièce et la rapproche du plan. « Ca correspond non ? » Elle la rapproche du gros morceau du moteur que tient toujours Tim, et essaye de le place correctement. « Ca devrait aller par là. Mais il faut trouver la bonne vis… »

Les vis. Le cauchemar.

« Celles-là ? » Lily-Rose regarde mais non. Ce n’est pas ça. « Tu sais qu'apparemment, plusieurs personnes ont reçu des présents sans nom ? Plus piégé qu'autre chose par contre. AH ! Elles ! » Lily-Rose hausse les sourcils en regardant Tim. Il est sérieux là ? Il a l’air sérieux.

Lily-Rose souffle tandis qu’elle attrape un tournevis dans sa boite. « Sérieusement ? Les gens sont bizarres, ils ont que ça à faire… ? »

Offrir des cadeaux à la con à des inconnus : meilleur passe-temps du monde.

Lily-Rose s’arme du tournevis et place la vis correctement. Etape une, check. Ave un feutre noir, elle raye l’étape sur le mode d’emploi. Passons à la suivante maintenant. Dans le bordel incompréhensible qu’est le plan, elle attrape deux pièces longues qu’elle identifie rapidement. Les supports pour fixer le moteur sur son fauteuil. Lily-Rose les balance avec une douceur relative à côté dudit fauteuil. Elle s’en occupera plus tard.

« Bon. Y a quoi après… ? » Elle lève un instant les yeux vers le jeune homme. « Ton cadeau ‘surprise’, c’était ta fameuse crème ? »

« ...Ouais. J'étais ravi. » Oui. Ca se sent encore. « Mais je ne l'ai pas gâché, après tout quelqu'un s'est donné la peine de faire un cadeau à quelqu'un qui ne fête pas Noël, je devais faire honneur. » Lily-Rose reconcentre son attention pleine et entière sur Tim, les sourcils haussés. Qu’est-ce qu’il avait fait ? Elle sent la connerie arriver, et elle n’est pas déçue. « Je l'ai étalée sur le matelas de Connor. »

…D’accord. Soit. C’est une technique comme une autre d’utiliser un cadeau tout en emmerdant le reste du monde. Mais ça la fait sourire. « Il a du être content. » Ca avait dû être confortable tient, de se coucher dans un lit couvert de crème. Lily-Rose en frissonne de dégoût. Oui, non. Changement de sujet. « Tu ne fêtes pas Noël ? »

Et en parallèle, le plan demeure mystérieux et incompréhensible pour le plus gros. Et Lily-Rose n’est pas complètement concentrée dessus, cela ne l’aide pas. « Ce plan ne veut rien dire. » Oh si, ça doit vouloir dire quelque chose. Pour quelqu’un qui s’y connait en mécanique. Ce n’est pas le cas de Lily-Rose, et de toute évidence ce n’est pas le cas non plus du jeune homme. Et elle a beau lire les instructions rédigées dans un bon anglais, le sens véritable des choses lui reste obscure. Et les dessins des pièces n’aident définitivement pas.

Après plusieurs minutes de plus sans grand résultat, Lily-Rose se passe une main sur le visage en soufflant. « Ca commence à me casser les couilles. »

Alerte rouge. Lily-Rose devient vulgaire.

« Non. Fête des lumières pour nous. Les gosses reçoivent du fric, pas des cadeaux, hors, j'ai passé l'âge et si j'en avait besoin, ça se saurait. » Lily-Rose hoche la tête, un peu distraitement. Elle écoute, mais elle ne saisit pas tout. La fête des lumières, ça ne lui dit pas. Ce n’est pas grave, elle ira regarder sur wikipedia. Wikipédia sait toujours tout sur tout.

Lily-Rose voit du coin de l’œil Tim dégainer son portable pour faire elle ne sait quoi. Elle préfère s’énerver de plus en plus sur le plan. Et songer de plus en plus sérieusement à déchirer ce dernier avant de se débarrasser discrètement des différents morceaux.

« ...Y'a une clef donnée dans les pièces ? Etoile dit de fixer les deux trucs-là avec. » Elle tourne la tête vers l’amas de petites pièces. Une clef ? Elle fouille un instant avant d’en tirer une petite tige de métal hexagonale formant un angle droit. Oui, ça rappelle vaguement une clef à Lily-Rose.

Le type de clef utilisé pour monter un meuble Ikea.

Lily-Rose observe le plan plus précisément la partie qui a été désigné par Tim, et prend le paquet de vis D qui correspond. Ca entre parfaitement dans les interstices prévu à cet effet. « Maintiens-les bien s’il te plait. Je visse. » Quarante-huit tours de poignet plus tard, les deux trucs sont assemblés. Pour l’éternité.

« Pff, si t'avais besoin d'un siège qui se bouge tout seul, t'aurais pu payer quelqu'un pour qu'il te porte. T'aurais perdu beaucoup moins de temps et en plus, ça monte les escaliers. » Temps d’arrêt dans la tête de Lily-Rose.

Certainement pas, non merci !

Pas de chance pour Tim, avoir quelqu’un qui l’aide à se déplacer est tout ce que Lily-Rose ne veut pas. Elle se débrouille toute seule pour se déplacer, merci bien. Sauf au début, parce que le traumatisme était encore là et qu’il lui fallait s’habituer à sa nouvelle « condition ». « Je ne veux pas dépendre de quelqu’un d’autre sous prétexte que je suis handicapée.  Je préfère me débrouiller toute seule tant que c’est possible. » Elle a horreur d’être dépendante. Elle sait qu’il y a des moments où elle ne peut faire autrement et elle arrive à l’accepter, mais tant qu’elle peut se débrouiller seule elle le fait.

Lily-Rose tient à son indépendance et à sa fierté.

Lily-Rose se reconcentre sur leur travail. Histoire d’en finir vite quand même. « Au moins les plus grosses pièces sont fixées. » Elle hoche la tête et rassemble les petits morceaux restants. Les rails pour installer le moteur sont plus loin, elle s’en occupera en dernier.

Elle réagit à peine à la sonnerie du lave-linge, ne levant les yeux un court instant que lorsque Tim s’éloigne. Puis revient sur son bordel. Lily-Rose joue au puzzle en fait. Elle prend toutes les pièces, regarde ce qui s’emboite avec quoi ou non. Elle trouve un gros bloc qu’elle identifie comme la batterie du moteur. Oh. Ca va avec la grosse pièce déjà assemblée alors. Lily-Rose la met sur le côté, avec le câble. Bien. Deux trucs en moins dans son petit tas.

Et pendant que Tim s’occupe de son linge –parce qu’à la base il est là pour ça après tout- elle continue de bidouiller. Elle fait des tests, installe quelques vis et à la fin, ça ressemble presque à quelque chose d’acceptable. Et à quelque chose qui ressemble au plan. Miracle.

Tim revient un peu après. Visiblement, il en a terminé avec son linge, pour l’instant. Le tambour du sèche-linge sert de bruit de fond. « Faut juste le fixer sur le fauteuil maintenant non ? » Lily-Rose confirme et s’étire autant qu’elle peut pour rapprocher le reste des pièces et son fauteuil.

Pour une raison trop peu expliquée, cette partie là semble plus facile à comprendre. Au final, c’est assez rapidement installée, au plus grand soulagement de Lily-Rose. La victoire est saluée d’un highfive en demi-teinte, entre soulagement et fierté.

« Bon. Y'a plus qu'à voir si ça fonctionne, j'imagine. » Effectivement. Lily-Rose se hausse avec habitude sur son fauteuil. La commande électrique installée sur un des accoudoirs la perturbe un instant. Il va lui falloir un moment pour s’habituer à cette présence. « Normalement la batterie est chargée, donc ça devrait fonctionner. Sinon… »

Sinon, Lily-Rose change temporairement de groupe pour rejoindre les Outrageous et massacrer le résultat de cet après-midi dans les règles de l’art, avec peintures de guerre, bidon d’essence et briquet.

Ou alors elle reste raisonnable et raisonnée, et va chez un professionnel.

Heureusement, quand elle actionne la commande, le moteur ronronne et le fauteuil se déplace. Pas très longtemps, malheureusement. Au bout de quelques secondes, il se stoppe. Et Lily-Rose soupire. « Bon ! On va dire que c’est un demi-succès et que c’est la faute de la batterie… » Et que ça ira mieux une fois qu’elle l’aura chargé correctement.

« Merci pour ton aide en tout cas, Tim. J’y serais probablement encore si tu ne m’avais pas aidé. »