Sérieusement ? Ces chaussures avec ce pantalon ? Oh non non non, ça ne va pas du tout.

“Alice, tu sais que je t’aime. Mais c’est hors de question. On se retrouve dans une heure, ok ? Opération renflouage de penderie. D’acc ? A toute, poussin, byyye~ !”

Je raccroche sans laisser lui laisser le temps de répondre. Elle ne peut pas refuser de toute façon, c’est absolument vital. Pour elle comme pour moi. Après un petit temps de préparation, donc, je me pointe devant la chambre d’Alice, paré de mes plus beaux atours et coiffé d’un chignon bohème. La pointe de la mode je vous dis. Et en avant vers le centre commercial !

“Dis, la boutique où je veux qu’on aille est tout en haut. Tu préfères monter les escaliers ou prendre l’ascenseur ?” je demande à Alice, tout en pesant le pour et le contre mentalement. Les escaliers nous donneront des jambes d’aciers, parfaitement galbées, mais l’ascenseur nous fera gagner du temps. Et le temps c’est de l’argent. Je me saisis donc de la main d’Alice, direction l’ascenseur.

“Vas-y, appuie sur le bouton.”

Et tandis que les portes se refermaient, j’ignorais que nous étions condamnés.

Vous connaissez la loi de Murphy, selon laquelle tout ce qui peut mal tourner va mal tourner ? Eh oui. Voilà. Alice et moi confirmons la véracité de cette loi lorsque l’ascenseur se coince. En plus les lumières se sont éteintes, ça fait vraiment apocalypse. J’espère que ça ne touche pas tout le centre commercial… Alice garde la tête froide et contacte la maintenance. Pas bête ! Mais peut mieux faire.

“T’as peur ?” je demande à Alice en m’accroupissant devant elle. Peut-être qu’elle est claustrophobe, ou qu’elle a peur du noir, auquel cas je devrais tenter de la rassurer. Je pose ma main doucement sur sa tête et commence à caresser ses cheveux.

“Ca va bien se passer. T’inquiète pas. Tout va bien.”

Tout ne va pas bien. Qui sait combien de temps il faudra à l’équipe de secours pour nous sortir de cette situation ? C’est d’un cliché en plus ! Dans les séries les protagonistes y passent la nuit en général, c’est pas possible ! Je jette un coup d’oeil autour de moi. Pas qu’il y ait grand chose à voir, mais un indice caché peut toujours aider.

“J’ai joué à un jeu comme ça y’a pas longtemps. On devrait essayer de trouver une sortie nous-mêmes ! T’en penses quoi ?”

Alice va-t-elle me trahir, ou s’allier avec moi ? Il est temps de chercher un moyen de s’échapper.

Bon, tout va bien, Alice a l’air de reprendre du poil de la bête ! Elle est peut-être fatiguée, tout simplement. Ou bien elle économise ses forces pour le shopping après, parce que je vous garantis qu’on sortira avant la fermeture des magasins, ou je ne m’appelle pas Jun. En tout cas, elle aussi a l’air de vouloir prendre la situation en main, et propose un plan.

“T’as raison ! On dirait une trappe !”

Bon sang mais c’est bien sûr. Dans Toy Story 2, Zorg et Buzz se battent sur le toit de l’ascenseur, et il y a une trappe. C’est forcément notre issue de secours ! Pour y accéder, en revanche, on va devoir coopérer et faire la courte échelle. A moins que d’un coup la gravité devienne identique à celle de la lune, et qu’on puisse sauter de nous-même sur le toit, je ne vois que cette solution là.

“Hmm,” je marmonne, tout en examinant ma camarade et en réfléchissant à voix haute. “Je crois qu’on a à peu près la même corpulence. On peut décider à pierre feuille ciseaux qui porte l’autre, si tu veux.”

A moins qu’elle ait assez confiance en ses muscles pour vouloir y aller en premier, je préfère laisser le hasard s’en charger. Je cache mon poing derrière mon dos, prêt à dégainer une paire de ciseaux.

Pas une fois je ne m’arrête pour réfléchir à ce qu’on fera, une fois sur le toit, perchés à plusieurs mètres du sol, suspendus par des câbles de fer sur une boîte métallique géante.

“Héhé, des années d’entraînement pour parvenir à un tel résultat,” dis-je sur le ton de la plaisanterie, content d’avoir gagné. N’importe qui serait fier de l’emporter, c’est tout naturel ! Même pour un jeu aussi simple ! Enfin, la trappe ne va pas s’ouvrir toute seule. Vite fait, j’enlève mes chaussures.

“Bon, pardonne-moi…”

Je pose un pied dans les mains d’Alice en m’excusant parce que quand même, ça la dégoûte peut-être. Mais mes pieds sont propres, je vous jure ! Plus que mes godasses en tout cas. C’est assez instable, une courte-échelle, quand même, mais je pousse sur la trappe de toutes mes forces. Qui sont finalement bien maigres, comme vous vous en doutez sûrement. Lorsqu’enfin la trappe cède, mon impulsion doit déséquilibrer Alice et… On se casse la figure. Oui.

“T’inquiète, tout va bien !” je lui réponds, pour la rassurer. En vrai je me suis cogné le coude mais ça va aller. J’espère. “Bon, c’est reparti ! Prête ?”

Rapidement, je me hisse sur le toit de l’ascenseur. Hm. Je me demande comment on a pu penser que c’est une bonne idée. Alice grimpe à son tour, et pâlit instantanément une fois à mes côtés. Je passe mon bras sous le sien, afin de la soutenir si besoin.

“Oh, ça va ? Qu’est-ce qu’il se passe ?” demande-je en passant une main sur son front, histoire d’être sûr qu’elle n’est pas malade.
Ah mais oui. Le vertige. Franchement quelle idée de génie, les gars, y’a rien ici, c’est pas comme si on pouvait sauter. Je mets ma main en visière et lève les yeux. Mouais.

“On s’en sortira pas en mode James Bond non plus.”

Tout à mes blagues, je remarque à peine le changement d’expression d’Alice. Elle a toujours été stoïque et réservée ; il y a des gens peu expressifs, c’est comme ça.
Mais un humain, ça change. Ce n’est pas une statue. Et j’aurais dû m’apercevoir qu’être ici, maintenant, c’était une très très mauvaise idée. C’est seulement quand mon amie éclate en sanglots que je comprends que quelque chose ne va pas du tout.

“Alice ? Ça va pas ?”

Je pose une main sur son front, puis sur ses joues, afin d’en essuyer le mélange de larmes et de sueur froide. Alice, pauvre Alice. Merde. C’est de ma faute. C’était mon idée, et je sais pourtant à quel point Alice ne contredit personne. Je le sais !

“Je suis désolé. Ecoute, on redescend, d’accord ?”

Je jette un oeil à la trappe encore ouverte. Je ne veux pas laisser Alice seule sur le toit de l’ascenseur mais je ne veux pas non plus la jeter dans la cabine vide sans rien pour amortir sa chute. Dilemme dilemme.

“Est-ce que, si je redescends en premier, tu penses pouvoir sauter ? Je te rattraperai hein !”

Avec ma force de moustique. Hé, oh, l’adrénaline décuple les capacités, c’est vrai, je l’ai vu dans un dessin animé. J’espère simplement qu’Alice ne voudra pas qu’on descende tous les deux en même temps, ça risquerait de bien secouer l’ascenseur.

Alice semble déjà plus rassurée maintenant qu’on a décidé de redescendre ; elle se sent même capable de descendre la première, toute seule ! J’espère que ça va aller maintenant, j’ai peur qu’elle s’effondre en descendant ou qu’elle fasse une crise d’anxiété en m’attendant en bas. Même si concrètement je devrais pouvoir la rejoindre bien vite.

“D’accord, sois prudente.” je lui dis avec un sourire qui se veut rassurant. Elle a l’air de savoir ce qu’elle fait, et même si à plusieurs reprises je m’approche pour voir si elle n’a pas besoin de mon aide, elle s’en sort comme un chef. Je suis impressionné, et même carrément soulagé !

J’attends qu’elle soit bien posée, et qu’elle tienne bien sur ses jambes, pour me lancer à mon tour. Étonnamment, Alice m’attrape sans problèmes. Franchement, elle est dégourdie je trouve. Une fois que je suis par terre, je me tourne vers elle pour la remercier. Elle tombe. Allons bon.

“T’es le genre de personne qui craque sous la pression seulement une fois que la crise est passée, toi, non ? Y’a pas de souci.” je lui dis d’un ton jovial tout en caressant ses cheveux pour la rassurer. Tout va bien se passer maintenant. Je m’assois à côté d’elle. On n’a plus qu’à attendre maintenant.

“Tu veux faire quoi ?”

A vrai dire le moment serait idéal pour jouer aux cartes ou faire la sieste, tellement on n’a rien à faire.