Elle n'aurait jamais du quitter Blenheim pour venir prendre un café ici. Quelle idée ! Dehors, la pluie continue de s'abattre sur la ville. Les précipitations ont formé une coulée, puis une rivière, puis un torrent déchaîné. Enfin, elle exagère sûrement un peu mais, à ses yeux, ça représente déjà beaucoup trop d'eau.

L'agitation régnante ne l'aidant pas à se calmer, c'est presque avec un soulagement extrême qu'elle a reconnu une surveillante. Théodora. Elle a aperçu aussi deux visages familiers mais elle ne connaît pas leurs noms. Ni s'ils lui sont vraiment familiers finalement. Alors Sidney s'était approchée de la surveillante.

« Ma-mademoiselle Knightley… est-ce que… est-ce que je peux rester avec vous ? »

Elle agrippe sa manche par réflexe, tremblante.
Sans penser une seule seconde que la pauvre surveillante ne lui serait sans doute pas d'un grand secours compte tenu de sa propre situation.

Alors ça. J’avais jamais eu encore. Une inondation. Surtout de cette taille. C’pas un truc qu’on voit souvent en Afrique du Sud, faut dire. Même si ça fait un bail que j’y suis pas retournée. Bref.

J’espère que Makoto va bien. Même cet abruti de Aaron, j’espère qu’il ne va rien lui arriver de mal. Il est con et chiant mais je l’aime bien au fond. Je crois ? Bon bref. De toute manière ils doivent être à Blenheim. Tant mieux. Enfin un truc que cette école aura fait de bien. Moi ça me concerne plus tout ça.

« Bon, faudrait peut-être voir à ce bouger le cul pour monter non ? » Simple déduction. Si c’est pour encadrer des flippettes, non merci.

Theodora peste. Elle estime en avoir le droit absolu, dans l'immédiat. Parce qu'en plus de la catastrophe naturelle que Fosterhampton se mange - il lui semble qu'il s'agit là d'un cas de force majeur ouip -, il a fallu que Theodora se souvienne qu'elle est sourde.
Et la voilà échouée -littéralement- dans un café qu'elle n'avait jamais fréquenté, entourée de visages inconnus mais aussi, surprise, plus familiers, démunie de ses appareils. Doux appareils, perdus dans la foule qui l'a sans doute piétiné...
Qui coûtaient si chers...
Et sans qui elle est sourde...
...
Parce que oui, évidemment, Theodora a le pire karma DU MONDE. Donc quand un cataclysme s'abat sur la ville, autant se rappeler de sa surdité ! GENIAL ! LA VIE EST BELLE ! FANTASTIQUE ! POURQUOI NI SCARLETT NI DANAE NE REPONDENT ! Theodora essaie bien d'être calme, mais dans sa tête, c'est presque autant le bordel que dehors. Elle panique, Theo ; Opaline est chez Danae, la voisine de 75 ans, qui ne répond pas ; Scarlett ne répond pas ; Sony ne répond pas ; Kae ne répond pas ; Chris ne répond pas ; PERSONNE NE REPOND !
Oui, elle a tenté 6 à 7 appels. En 5 minutes.
Elle panique, l'ai-je dit ?
Sauf qu'elle n'en a pas le droit, Theo ; elle est une adulte responsable, Theo. Et la bouille adorable d'une étudiante vient le lui rappeler, lui serrant au passage le coeur. Elle est terrorisée. Et ça se voit. « Bien sûr, reste avec moi... Sidney, n'est-ce pas ? » Une étudiante aussi sérieuse, difficile de s'en souvenir, elle n'avait guère souvent affaire à elle. Alors elle lui tend la main, le regard curieux. « Tu peux me donner la main si tu veux, si ça te rassure. Par contre, regarde moi bien en face quand tu parles, s'il te plaît... Je. Je n'entends plus. » Elle désigne ses oreilles d'un geste et lui offre un sourire contris.
You-piiiii.
Oh, puis-je préciser que, du fait de sa surdité, elle n'entend pas leurs comparses ? Hm, ouais, c'est ça.
You-piiiiiiiii.

La voix, ou plutôt le ton, de la blonde fait sursauter la Shakespeare qui ose à peine lancer un regard vers elle. Fort heureusement, la surveillante la rassure et, pour un peu, Sidney aurait presque envie de pleurer. De soulagement. De sentir sa présence, son soutien. Mais lorsque la surveillante lui annonce la perte de ses appareils, Sidney blêmit.

L'inquiétude revient au triple galop et, ayant conscience de la délicatesse de la situation, l'anglaise attrape doucement la main de Théodora pour la serrer doucement dans la sienne. Elle tourne la tête vers la blonde.

« Mademoiselle Knightley a perdu ses appareils. J-je vais rester avec elle. On te suit en haut. »

Par contre, il semblerait que la petite brune, elle, semble plutôt impatiente de retourner patauger.

« On devrait aller en haut, c'est plus prudent… L'eau est sale et il y a peut-être des débris, tu pourrais te faire mal. Et puis tes proches vont s'inquiéter si le courant t'emporte. Et puis tu pourrais te noyer et... »

Parler de noyade, l'imaginer, et la voilà qui fait une crise de panique, serrant la main de Théodora plus fort dans la sienne.

Mais putain c’est pas possible d’être aussi molles là. Sans déconner le karma m’a collé avec les escargots du secteur ou quoi ? Non parce que chez moi, quand de l’eau commence à s’infiltrer comme ça quelque part, c’est pas bon signe. Du tout.

Et comme apparemment, y’a pas une gonzesse suffisamment intelligente – à part moi – pour faire bouger les choses, bah je vais m’en occuper. Je commence par attraper la mioche chiante par le col et l’envoie vers les escaliers. « Toi tu montes en premier. Si tu veux tant que ça faire le ninja, t’as qu’à aller voir si y’a pas une porte qui mène au toit. »

Puis je me tourne vers l’autre flippée, que j’attrape sans douceur d’une main pour choper la plus vieille et bleue de l’autre main « Aller maintenant on se bouge le cul, c’est bien compris ? La prochaine qui traîne j’lui colle une gifle histoire de la faire décoller pour de bon. » Non mais oh. Un peu de nerf aussi, ça n’a jamais tué personne putain.

Sidney semble se figer lorsqu'elle voit l'eau s'infiltrer. Une boule dans la gorge, sa main crispée à celle de Théo, la Shakespeare est complètement paralysée. Elle se voit déjà se noyer.

Mais c'est sans compter sur l'intervention sur Dove qui, bien décidée à prendre les choses en main, attrape la plus jeune pour limite la jeter dans les escaliers. Avant d'attraper Sidney et Théo pour les forcer, sans plus de douceur qu'avec la petite brune, à en faire de même.

Et c'est sans doute ce qui permet à Sidney de revenir un peu sur terre et de reprendre un temps soit peu ses esprits. Quand elles sont en face de l'escalier, Sidney attrape la main de Théo et essaie tant bien que mal d'être face à elle pour lui parler.

« C'est dangereux en bas, on doit vite monter de mettre en sécurité ! »

Mais Dove les presse et Sidney commence à grimper les marches, entraînant la surveillante avec elle. Sa vue se brouille un peu ; elle a envie de pleurer. Elle veut voir son frère, elle veut voir Nick, Tasha, Olly. Et Yunan. Est-ce qu'ils vont bien ? Est-ce qu'ils sont en sécurité ?

Elles arrivent donc enfin à l'étage et, perdue, Sidney se tourne automatiquement vers la forme d'autorité et de sang froid. Et bien qu'elle serre la main de Théo dans la sienne, c'est bien sur Dove que son regard est posé.

« E-et maintenant ? »

La fenêtre vole en éclat, arrachant un couinement à Sidney qui cramponne le bras de la surveillante, y plantant certainement ses ongles. Son souffle se fait plus saccadée à l'idée simple que l'eau soit arrivée si haut et que la pression ait eut raison du verre.

Mais elle est bien vite rassurée par la voix d'un homme attaché à un solide et épais cordon noir relié à l'hélicoptère. Et là, après une fraction de secondes à réaliser qu'elles vont être enfin mises hors de danger, la Shakespeare affiche un sourire, ses larmes roulant sur ses joues. La pression redescend enfin un peu.

Sidney fait avancer Théodora vers l'homme.

« E-Elle est malentendante et a perdu ses appareils ! Aidez la, s'il vous plaît ! »

C'est donc, à son sens, la priorité numéro une pour elle. Parce qu'elle ne veut pas la laisser derrière elle.