Après tout le bordel que l’inondation avait créé, autant dire qu’au Palais de Blenheim, les choses s’organisaient autrement. Mais bon, honnêtement, je ne me sentais pas plus concerné que ça. Faut dire aussi que je m’en vais dans moins d’un mois, maintenant. La fin des années d’études en Angleterre pour moi, semblerait-il. Rien que de voir la tête satisfaite de mon oncle quand il m’aura repris en main, ça me dégoûte. M’enfin bon, j’ai encore un peu de temps, autant ne pas y penser de suite.

Je fume une clope tranquille au moment où je vois des gars se diriger vers le gymnase olympique. Je leur demande où ils vont, juste comme ça. Par curiosité. C’est pas comme si ça m’intéressait, après tout. Ils me répondent, tout contents, qu’ils vont mater des meufs dans les vestiaires. Et plus si affinités. Je me marre un bon coup. Encore un truc qui va atterrir dans le journal de Queen, je paris toutes mes clopes que ce sera le cas.

Je m’allonge dans l’herbe, en regardant le ciel. Difficile de croire qu’il n’y a pas si longtemps, il tombait des cordes au point que la ville a encore du mal à s’en remettre, par endroit. Je ferme les yeux. J’ai envie de voir Keiko. Je me demande où elle est mainte-… Minute. A cette heure-ci, Keiko, elle est pas à ses entraînements qui durent des plombes ? Si. Dans le gymnase, donc.

EH MERDE.

Je me redresse d’un coup et fonce en direction du gymnase. J’en ai même oublié ma clope au passage. RIP, elle restera dans l’herbe à tout jamais, ce n’est plus mon problème. J’ai d’autres chats à fouetter sur le moment. D’autant plus qu’en rejoignant les vestiaires des nanas, je revois les dos de ces pauvres connards. J’ai la rage comme pas permis, d’un coup. J’en attrape un par le col et l’étale par terre. Boom, assommé. Il peut s’estimer heureux. Je ne ferais pas autant de cadeau aux prochains.

J’arrive à coller un uppercut à un des deux restants. Je crois que sa mâchoire à moyen appréciée. Les articulations de mon poings non plus, cela dit. Mais au moins, lui aussi ne bouge plus. Le dernier est plus vif, plus problématique. Il arrive à m’entailler la lèvre inférieure. Ça fait un mal de chien, bordel !

Il vise les côtes, ok, mais moi je réplique aussi. Il me projette à l’intérieur des vestiaires des meufs, mais j’y fais pas attention sur le moment. « Alors Hakumei ? C’tout ce que t’as à donner ? ». Je vrille. Il. M’a. Appelé. Hakumei.

« M’APELLE PAS COMME CA ! »

J’crois qu’il s’attendait pas à une réaction pareille. Mon poing s’enfonce dans ses pseudos abdominaux et il se couche au sol sans plus de cérémonie. Et voilà, un gêneur de moins. Et moi ? Putain c’est vrai que j’ai un peu la tête qui tourne, d’un coup. Je titube. Et je pose un genou à terre. Putain mais ça fait pas si longtemps la dernière fois que j’me suis battue, pourtant. C’quoi ce problème de souffle que j’me tape, d’un coup ? Et j’vois flou en plus. Super.

Elle inspire profondément, le ballon dans une main. Un coup d'oeil vers le filet, puis elle lance le ballon en l'air ; elle s'élance à son tour, prenant son élan, avant de bondir pour laisser la paume de sa main frapper le ballon. Ce dernier finit sa course où elle le désire, bien qu'elle n'en soit pas satisfaite.

Ça fait déjà 2h qu'elle s'entraîne et ses jambes tremblent légèrement ; son corps ne s'est pas encore totalement remis de l'inondation. Elle revoit les images du désastre et secoue la tête avec vigueur. Keiko ne veut pas y repenser ; elle a eu peur. Le nier serait idiot, aussi fière puisse-t-elle être. Elle décide alors d'arrêter pour aujourd'hui, histoire d'éviter une blessure quelconque. Que ça aille de l'entorse aux courbatures.

Elle se rend donc aux vestiaires, déserts. Un soupir franchit ses lèvres ; elle devrait aussi arrêter de venir toute seule ici. Si jamais il lui arrive quelque chose, personne ne serait là pour l'aider. Et elle voit d'ores et déjà d'ici la tête de son compatriote, furax, à cette idée. Le visage de Yugi s'imposant donc naturellement à elle, ses derniers mots emboîtent le pas de cette réminiscence.

Il a réellement dit qu'il l'aimait ?
Ce simple souvenir lui arrache quelques rougeurs et elle secoue vivement la tête. Elle ne sait plus où elle en est, où ils en sont. La haine, l'amitié, le déni, la haine de nouveau, l’ambiguïté, le secours… et maintenant, quel est leur nouveau chapitre ?

Elle retire son short et le laisse choir au sol, avant de commencer à fouiller dans son casier pour en sortir de quoi aller se doucher.
Mais c'est sans compter sur un éclat de voix qui la fait sursauter. Au même instant, la porte s'ouvre à la volée, laissant apparaître une tête blanche. Une tête qu'elle ne connaît que trop bien. Yugi. Et elle n'a même pas le temps de l'incendier qu'il hurle avant de… foutre une droite à quelqu'un ? Pourquoi est-il ici ? Et pourquoi diable est-ce qu'il se bat ?

Le calme semble revenir. Calme durant lequel Keiko reste immobile, sa serviette de bain entre les mains. Elle cligne des yeux avant de voir Yugi chanceler et poser un genou à terre. Ni une ni deux, elle lâche tout et s'approche rapidement de lui, oubliant le reste. Une main dans son dos, l'autre sur son bras.

« Yugi, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Viens t'asseoir. »

Elle l'aide à se relever pour le faire asseoir sur le banc au centre, au milieu des casiers. Elle s'accroupit en face de lui pour essayer de capter son regard.

« J'croyais que j'étais la seule autorisée à pouvoir te frapper. Tu m'expliques ? »

Je crois que je me suis un peu rouillé, niveau baston. C’est la loose. Si certains l’apprennent, je sens qu’ils ne vont pas se gêner pour se foutre de moi. Et en soit, ils auraient bien raison. Mais bon, chaque chose en son temps. Pour l’instant, je me suis démerdé pour foutre quatre mecs débiles à terre. Ils sont juste assommés et je me suis pris une belle dérouillée derrière mais bon, ça doit être un bon résultat, j’imagine. Je ne peux pas vraiment me prononcer. Après tout, tout ça, ça reste subjectif. Et puis, il y a …

Keiko.

Pour une peu je m’étonnerai presque qu’elle soit là. Mais non. L’idée fait le chemin assez rapidement jusqu’à mon cerveau. C’est pour ça que je suis là. C’est pour elle que j’ai mis les pieds ici. Pour empêcher ces pervers de merde de venir la reluquer. Et ‘plus si affinités’, comme ils disaient. Ecole de merdeux. Ouai. Je reconnais. J’ai fait ça pour la protéger. Parce que je sentais les emmerdes arriver et que j’ai pas voulue qu’elle soit flouée par ces dernières. Elle mérite mieux que ça. Mieux que ces types. Mieux que moi.

Je souffle. J’suis saoulé.

« Regarde dans le couloir. Tu devrais comprendre. »

Ils ont l’air fin, étalés comme des déchets sur le sol lustré de ce couloir de gymnase. Mais bon, j’avoue que là, de suite, je m’en fous pas mal. Keiko va bien. Elle n’a rien. Je peux bien supporter ça un peu plus longtemps, ça ne me gênera pas.

« On va dire que vous autres les sportives, vous attirez les cas sociaux. Et je parle pas de moi pour le coup, ahah. »

Tentative d’humour à la con. Je sais faire que ça pour débloquer ce genre de situation. Mes autres cartes sont pas applicables et j’ai pas envie de relancer notre incompréhension mutuelle. Pas pour l’instant. Pas alors qu’on arrive enfin à échanger trois mots sans se sauter mutuellement à la gorge. Je voudrais profiter un peu de ce moment tranquille. Ma tête tourne déjà un peu moins. J’apprécie.

Il l'invite à regarder dans le couloir mais elle n'en a pas l'envie. Elle s'en fout, dans le fond. Ce qui la préoccupe, plus que de savoir avec qui il s'est -clairement- battu, c'est son état. Il a l'air d'avoir pris un mauvais coup. Et ça l'énerve. Elle ne connaît pas la raison de cette bagarre, mais ça l'énerve déjà.
Parce qu'elle connaît Yugi presque par coeur, maintenant.

« On va dire que vous autres les sportives, vous attirez les cas sociaux. Et je parle pas de moi pour le coup, ahah. »

Keiko hausse un sourcil en le dévisageant ; un soupire finit par franchir ses lèvres alors qu'elle secoue un peu la tête. Il n'y a pourtant pas si longtemps, elle lui aurait donné un coup. Mais elle n'en a étrangement pas envie, là.

« T'es un cas social plus dérangé toi, c'est vrai. » Elle porte la main à son front pour écarter ses mèches blanches et le regarder dans les yeux. « Maintenant que t'as fini de dire des conneries, ça va mieux ? »

Elle l'observe un moment en silence avant de finalement se lever pour s'écarter. Elle glisse jusqu'à la porte, prenant soin à ne pas se montrer. Pas qu'elle soit non plus très pudique, ou, tout du moins, en t-shirt et culotte c'est tolérable, elle n'a pas non plus envie qu'on la reluque en culotte.

« McClusky sera ravi d'apprendre que vous venez observer ses poulains de très près. Je lui transmettrais vos salutations sans faute. »

De là où elle est, et en plus des grognements de douleurs, elle en voit deux blêmir avant de se relever tant bien que mal pour ramasser leur copain dans les vapes avant de se barrer, mal assurés. Keiko referme la porte, poussant le loquet pour éviter une autre visite surprise. Il faudra qu'elle songe à prévenir le chargé de sécurité au passage. Mais ça attendra.

L'Olympic ouvre un casier libre pour en sortir des gobelets en plastique. Elle en prend un avant de le remplir d'eau puis de l'apporter à Yugi, s'installant cette fois à côté de lui.

« Tu veux que je t'emmène à l'infirmerie ? Ou tu peux t'allonger sur le banc si tu veux, je te prêterais ma veste pour ta tête, au besoin. »

Elle est nerveuse. Calme mais nerveuse. Parce qu'elle ne peut que repenser aux mots de Yugi la dernière fois qu'ils ont été seuls. Est-ce qu'elle doit lui en parler ? Est-ce vraiment le moment pour ça ? Elle en doute. Keiko détourne la tête, un petit soupir franchissant la barrière de ses lèvres.

« C'est encore à cause de moi que tu t'es battu ? »

Ahahah, McClusky. Genre ce gars fait peur. Sans offense mais je l’ai jamais trouvé spécialement impressionnant, lui. Alors ouai, il fait grand brun ténébreux tout ça. Mais bon, c’pas qu’une image, tout ça ? Je veux dire, je le connais pas spécifiquement mais en tout cas, je n’aurais jamais peur de sa personne. Tout comme je ne mouillerai pas comme les petites minettes qui l’idéalisent. Comme beaucoup. Comme elles le faisaient avec moi aussi. Je ne sais pas si c’est toujours d’actualité, tout ça mais au fond, j’en ai rien à faire. J’ai trouvé mieux. Je l’ai dit. Mais y’a rien eu derrière.

On peut appeler ça une peine de cœur, en fait ? Parce que j’en sais rien, au fond.

Et puis merde, c’est pas la question. Je voudrais bien éviter cette ambiance d’interrogatoire mais visiblement, ça ne va pas être possible. Autant y aller franco, du coup. J’aurais moins de problèmes derrière, sans aucun doute.

« Ouai. »

Avec Keiko, je ne prends pas soin d’auréoler mes mots d’une quelconque aura de la Haute. Je prends mon temps, je prends ma propre vision des choses. Je prends le temps d’être moi, tout simplement. Alors, je me décide à la regarder.

Putain.

C’est dingue comme elle est belle. J’aimerais pouvoir me concentrer, mais c’est difficile.

« Ils voulaient….’Fin j’ai pas besoin de faire un dessin j’pense. Et je… bah… »

Ca me gonfle de ne plus être capable d’aligner quatre pauvres mots sans chercher une cohérence à ma phrase. Mon regard glisse sur ses formes, le galbe de sa peau. Je sens ma gorge se nouer tandis que ma respiration commence à ne plus vraiment m’obéir. Le mal de crâne est toujours présent mais il est bien moindre.
Je crois que c’est précisément à ce moment que j’ai arrêté de réfléchir. La seconde suivante, j’avais Keiko contre moi et je l’embrassais. Dans l’une de mes mains, son poignet. Je l’avais délibérément fait glisser.

La réponse est claire et nette, sans détour, sans faux semblant. Keiko glisse son regard vers lui avant de finalement fermer les yeux, poussant un soupir. Il n'y a pas si longtemps, elle l'aurait volontiers gratifier d'une réponse pleine de venin pour lui informer qu'elle est parfaitement en mesure de se protéger toute seule.
Mais compte tenu des récents événements, elle ne peut pas vraiment s'en persuader elle-même. Elle est fière Keiko. Bornée aussi. Incroyablement bornée. Mais pas non plus complètement stupide.

Elle aimerait juste que Yugi cesse de s'attirer des ennuis à cause d'elle.

« Ils voulaient….’Fin j’ai pas besoin de faire un dessin j’pense. Et je… bah… »

Elle hausse un sourcil ; non, elle n'a effectivement pas besoin d'un dessin, vu la manière dont il a commencé sa phrase. Mais ça la laisse incroyablement perplexe. Pour peu, elle se serait presque sentie triste pour ces pauvres bougres. Une seule fille dans le vestiaire, et clairement pas la plus belle ou la plus docile, c'est une maigre récompense compte tenu des risques pris.

« Et toi, t'es arrivé sur ton chev- »

Ça se passe tellement vite qu'elle n'a absolument pas le temps de lutter, ou même de protester. L'Olympic croit même halluciné mais la chaleur, là, contre ses lèvres, elle est bien réelle. Son poignet prisonnier de la main du Lord, elle ne peut pas s'échapper.

Le veut-elle seulement ?

Ses yeux clignent à plusieurs reprises avant de finalement se fermer. Son coeur tambourine dans sa poitrine alors que la proximité qu'il a imposé lui donne l'impression de se réduire petit à petit. Elle se laisse lentement consumer par ce baiser, le premier. Sa main libre agrippe son vêtement, au niveau de son torse ; et cette fois elle trouve, elle ignore où, la force de le repousser.
Elle manque d'air.

Leurs lèvres se séparent, et la respiration saccadée, troublée, de Keiko s'écrase contre Yugi. Elle finit par lever les yeux vers lui, ne parvenant pas à dissimuler ce tourbillon de sentiments qui dévaste tout en elle. Les joues peintes d'un rouge vif, elle réalise tout doucement la sincérité des mots de Yugi, il y a quelques temps.

Sa déclaration avant de fuir.

« Yugi… »

Sa bouche reste ouverte, mais aucun mot n'en sort. Elle n'arrive pas à mettre des mots, des sentiments, sur ce qu'elle ressent là, tout de suite. Ce baiser l'a prise de court. Elle baisse un peu les yeux, se mordillant la lèvre ; il faut pourtant qu'elle dise ce qu'elle a sur le coeur. C'est ce qu'on est sensé faire dans ces moments là, non ? Elle ne sait même pas.

Mais toujours aucun mot à l'horizon.
Plus qu'une option pour elle.

Sa main se resserre autour de son vêtement, et, le coeur sur le point d'imploser, cette fois, c'est elle qui dépose un baiser sur ses lèvres. Éphémère cependant. Le temps pour elle de plonger ses iris azurés dans ceux, améthystes, de Yugi.

« T'arrêtes pas... »

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment ‘bien’, ce que je fais. Mais tant pis. Là, pour le coup, je sens bien que dans ma tête, tout a lâché. C’est foutu, je ne peux plus revenir en arrière. Sauf si elle me le demande. Mais pour l’heure, nos mouvements sont synchrones ; même si un peu maladroits sur les bords. C’est paradoxal. Mais bon, est-ce que qu’au fond, c’est pas ce qui nous convient le mieux ? Nous sommes paradoxaux, elle et moi. Depuis le début. Depuis notre première rencontre, notre première baston, depuis le jet dans le lac et ma fausse copine. Depuis que nous avons appris à nous connaître malgré nos épines respectives. C’est comme ça qu’on fonctionne, d’ordinaire.

Mais pour une fois, on dirait que tout va dans le même sens. Pour elle, comme pour moi. Pour nous.
Le baiser était profond, affamé. C’était, je pense, l’expression de mes sentiments pour elle. Keiko. Elle me retourne, c’est pas possible. Le crâne, le cœur, tout. Elle a un ascendant monstrueux sur moi. D’ordinaire ça me ferait peur. Mais là j’ai même pas la trouille de me faire bouffer. Au contraire. Je ne demande que ça.

Pourtant, j’ai bien un sursaut de conscience lorsqu’elle me repousse, pour respirer. J’ai bien la peur qui me compresse les organes en me demandant à moi-même si j’ai pas fait une connerie, si elle ne risque pas de m’en vouloir par la suite. Je sais pas. Je suis perdu. J’attendais un signe d’elle.

Il ne s’est pas fait attendre.

R18 part.