Un, deux, trois. Un, deux, trois et encore un, deux, trois. On va y arriver, on est bien synchrones, c’est une chose qui s’améliore de jour en jour, je trouve. Et c’est plutôt rassurant, en fait. Notre équipe est bonne, très très bonne, je le sais. Je suis le capitaine. C’est à moi de cadrer les défauts et les qualités de chacun, surtout quand il est question d’être sur le terrain. Mais je sais aussi qu’aucune équipe n’est dispensée de devoir s’entraîner quotidiennement, c’est pour ça que je profite du club de sport pour aller les booster un peu. Nous sommes de futurs champions, je le sais, je le sens. Mais pour pouvoir porter ce titre, il faut aussi être en mesure de se construire des épaules pour soutenir ledit titre. Je ne lâcherai rien. Je l’ai promis à mon père et a fortiori, je me le suis promis à moi-même.

C’est reparti encore une fois. Les gars sont réceptifs, c’est génial. Tellement géniale, d’ailleurs, que je n’en vois pas le temps passer. C’est quand une autre équipe vient nous demander si on peut libérer le terrain que je réalise. Merde, j’avais promis à Indra de… Ah bah il est là. Il est à l’heure, lui au moins, ça en fait déjà un sur deux. Je suis naze putain, j’aurais dû faire plus attention à ça.

« Ouais, désolé mec, je me suis laissé emporter par l’euphorie du moment. Euh… »

Ouai enfin du coup je suis tout dégoulinant de sueur et tout… Ça craint.

« Tu me laisses juste deux minutes ? Le temps que je prenne des affaires propres dans mon casier et que je passe rapido sous la douche pour me rafraîchir ? »

Je ne veux pas non plus lui casser les pieds, j’imagine que de voir des mecs courir dans tous les sens quand on a pas la fibre du sport en équipe à force, ça doit être lassant. Bon, en attendant de voir ce qu’il va me dire, j’enlève me haut. Trop chaud.

Il est cool Indra. Il est plus âgé que moi et c’est vrai qu’à première vue on a absolument rien à voir en commun mais… Mais ouai il est plutôt cool et je l’apprécie pas mal. Je pense même pouvoir dire, étonnement, qu’il s’agit d’un de mes meilleurs amis. Je ne me souviens plus trop comment on en est venus à parler régulièrement –je sais qu’il fait du tir à l’arc, c’est peut-être ça la cause à effet – mais au fond, ça n’importe pas tant que ça. Le plus important c’est que je ressente pour lui une sincère amitié. Il me demande n’importe quoi je le fais, je suis là pour lui comme il sera là pour moi en cas de problème ; ça je le sais parfaitement.

Hop, je m’engouffre sous le jet d’eau, me savonne rapido et me sèche à peine. Tant pis j’enfile mes fringues propres directement comme ça. Il fait chaud en plus, donc que je sois un peu mouillé ce n’est pas un problème en soit, j’aurai l’occasion de sécher plus tard, en marchant, avec une chaleur pareille. J’embarque mon sac et du même coup, je réveille Roméo qui dormait sous l’un des bancs des vestiaires, avachi comme une carpette. Roméo, quoi.

Mon husky se lèvre prestement et me suis. Je rejoins Indra qui était vraisemblablement reparti jouer à l’un de ses jeux vidéo. J’ai les cheveux trempés et qui ne ressemblent à rien présentement mais tant pis. Je lui souris.

« Ouaip, c’est bon ! L’entrainement est fini du coup… Je suis tout à toi ! »

Humour.

« Je déconne. Enfin, tu vois ce que je veux dire quoi. »

Je connais suffisamment bien Indra pour qu’il sache de quoi est fait mon humour.

« Tu veux qu’on fasse quelque chose en particulier ? »

Romeo aime beaucoup Indra, je crois même pouvoir dire que c’est une des personnes avec laquelle il se conduit le mieux. Bon okay, en même temps Romeo il aime tout le monde mais il a ses préférences et moi je peux deviner qui a ses faveurs et qui ne les a pas. En l’occurrence, Indra s’est direct placé dans le top trois des amis préféré de mon chien. Du coup je fais confiance sans problème. Je sais que je peux me fier à Romeo. Un type à un jour dit un truc comme quoi il ne s’approcherait jamais d’une personne qui n’aimait pas les bêtes mais qu’il ferait toujours confiance aveuglément à un animal qui ne peut pas encadrer un humain pour s’éloigner dudit humain.

On va dire que j’applique la même logique.

Ça évite d’avoir des cons en permanence dans les pattes. Et puis avec Indra, au moins je ne m’ennuie pas ; chose rare, surtout dernièrement. Du coup j’en profite aussi un peu. Il faut que je relâche la pression, je ne le fais pas assez souvent dernièrement. Le Lord propose une soirée pizza, j’avoue que ça me branche bien. Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé, en plus.

« J’adhère. Mais du coup, tu préfères qu’on aille la manger en ville ? Ou qu’on se fasse livrer ? C’est moi qui invite ce soir alors je te laisse le choix du lieu. »

Bon j’avoue aussi que j’ai la flemme de choisir alors pour une fois je vais m’aligner sur une valeur sûre.

Il avait l’air parfois un peu dans la lune, Indra. Mais il n’était pas foncièrement méchant – je ne pourrais pas être ami avec un sale type après tout – donc ça me convenait. Va pour la pizza à se faire livrer. Ca tombe bien, après l’entraînement, j’admets que je suis un peu vanné moi-même donc c’est un bon deal, tout ça.

« Niquel. Après, pour le lieu hum… Dans ma chambre, si on veut se garantir une part de la pizza, c’est un peu mort avec mes colocs. Dans la tienne, peut-être ? Si ça ne gêne pas les tiens, de colocataires ? Ou alors quelque part dans le palais, je sais pas… »

Il y a plein d’endroit où poser son cul, faut dire, ici. Côté pratique d’habiter majoritairement dans un palace. Avant qu’on manque de place, on a de la marge.

« T’as une saveur en tête ? Pour la pizza, hein. »

Je ne suis pas chiant, je prends un peu tout ce qui passe à portée de bec. Pour ça, au moins, je ne suis pas trop chiant, encore.

Bon, bah c’était parti pour une soirée pizza en extérieur. C’allait être cool, j’avais l’impression que cela faisait une éternité que je n’avais plus mangé ailleurs qu’au réfectoire du Palais. Non pas que la bouffe y soit dégueulasse – au contraire, je dois bien reconnaitre que là, ils se surpassent. Je n’ai jamais aussi bien mangé depuis que j’ai commencé à étudier ici. Mais bon, partager juste une pizza avec un bon pote à la belle étoile c’est sympa aussi.

« Oh il doit y avoir. Direction les jardins alors, je vais téléphoner de là-bas, ça ne prendra pas trop longtemps je pense. »

Vive Fosterhampton bordel. C’est d’ailleurs un des rares avantages que je vois à être ici ; on ne manque pas d’occupation. Parce que bon, un pensionnat coupé de tout, j’aurai pété un câble je pense.

« Bon et du coup, tu ne stresses pas trop d’entrer en dernière année, tout ça ? »

Je n’ai jamais vraiment parlé de ça avec Indra mais… Est-ce qu’il est seulement heureux d’être là ?

J’ai déjà entendu des gens qui pensaient qu’Indra se foutait de tout juste parce qu’il n’a pas d’expressions flagrantes collées sur la gueule. Ils sont cons. Ils n’ont simplement jamais apprit à vraiment le connaître ; parce que moi ça ne m’arrête pas ce genre de chose. Au contraire, je connais Indra depuis un moment maintenant je pense pouvoir dire que je sais comment il ressent les choses. Franchement ? L’année prochaine quand il devra partir de Blenheim, ça va me faire un vide je pense.

« Nah je ne stresse pas, je sais à quoi m’attendre. C’est cool si toi aussi tu y va en étant détendu au possible. »

Il vaut mieux ça que du stress à ne plus savoir quoi en foutre, j’imagine.

« Tu vas te présenter au truc des préfets, au fait, toi ? »

C’est vrai que ça commençait à faire parler, cette organisation. Moi, personnellement, c’est hors de question. Je n’ai pas l’âme d’un responsable de groupe. Déjà que les autres me fichent la paix et après peut-être qu’on pourrait en reparler. Dans une dimension parallèle.

On va passer une bonne soirée, je sens. Je m’étire avant de m’installer là où Indra propose qu’on le fasse.

« C’est parfait, on va pouvoir se mettre bien ici. »

Personne ne viendra nous déranger, très certainement. Que du bénéfice pour nous, en somme. Maintenant que j’y pense, j’aurais pu préparer un truc avec le club de cuisine cet après-midi, pour mon pote et moi. Je suis un peu con de ne pas y avoir pensé. Ce sera pour une prochaine fois, je ferais en sorte de ne pas oublier, cette fois-là.

« Non, les préfets sont toujours chiants et je ne crois pas m’être un jour entendu avec l’un d’eux. Par contre, j’ai un peu peur de ce que ça peut donner en fait. Il parait que si personne ne se présente, les gens sont désignés d’office pour l’année. C’est carrément nul, ça ! Et puis, ils vont se baser sur quoi, exactement, pour élire leurs maudits préfets après tout ? On n’est pas dans Harry Potter, qu’ils nous fiche la paix après tout ! »

J’ai posé la question comme ça mais sans plus en fait. C’est un sujet qui ne me donne pas trop envie de débattre.

Je trouve vraiment que le rire d’Indra a quelque chose de très particulier. Je ne saurais pas vraiment le définir, mais il est plaisant à entendre. Bon, en même temps je ne vais pas critiquer l’un de mes meilleurs amis, ce ne serait ni correct ni très productif. Mais voilà, je me fais cette réflexion alors que je l’entends se marrer. Ça me fait plaisir. On va passer une bonne soirée, c’est sûr et certain.

« Aller go pour commander. »

Je dégaine mon portable et cherche le numéro de la pizzeria la plus proche – soit, celle de Fosterhampton. Une fois trouvé, il faut donc que je règle les derniers détails avec Indra.

« Tu la veux à quoi ta pizza ? »

Franchement moi j’aime toutes les pizzas – sauf peut-être celle à l’ananas, il ne faut pas abuser non plus… - sinon globalement je peux manger de tout sans être arrêté par rien. Roméo s’agite tout à coup. Ah, il a vu un piaf , alerte avortée.

« Tu veux bien un truc aussi, avec ? Tant qu’on y est. »

J’hausse les épaules. Je verrais au feeling, pour ma part.

Parfait, va pour un truc épicé, j’aime bien et ça ne me dérange pas de me brûler la langue si c’est pour avoir vraiment l’impression de manger un truc sympa en définitive. Je passe commande, le type est sympa et il fait son job vite et bien. Niquel. Je raccroche. Dans vingt minutes, on s’empiffre une pizza bien méritée près tous les efforts fait ! Ce n’est pas mon corps qui va dire non, après tout, je me suis dépensé comme un fou aujourd’hui à l’entrainement. Une pause me fera du bien, je pense. Et à mon estomac aussi par la même occasion.
Je lance un regard à mon meilleur ami.

« Ils viennent la livrer au portail principal dans une vingtaine de minutes, on aura plus qu’à aller la récupérer là-bas. »

Et du coup bah, dans la foulée, j’ai pris une bière, moi aussi. Comme ça on carbure au même régime, sur le moment-là pensée m’a paru franchement sympa.

Bon, eh bien maintenant il ne restait plus qu’à attendre patiemment que la pizza se fasse, cuise et soit livrée à l’endroit indiqué par le serveur au téléphone. J’imagine qu’ils savent où s’arrêter, après tout ce n’est pas comme si les palais courraient les rues ici-bas. Un seul est déjà bien suffisant. Et visible.

Je regarde Indra jouer un peu avec Roméo et je ne peux pas m’empêcher de sourire. Ouai, il est infatigable ce clébard, mais il est aussi très affectueux envers Indra. C’est très bon signe, ça. Parce que j’ai beau dire que ce crétin de clébard aime le monde entier, ce n’est pas si vrai que ça. Après tout, il avait failli bouffer la jambe du petit blond de la dernière fois donc bon… Je pense que ce n’est pas une surprise que mon chien et mon meilleur ami s’entendent Ca ne fait que prouver qu’Indra est une personne sensationnelle.

Il me coupe dans mes pensées en me questionnant un peu. Ah. Oui. Ça. Je m’allonge dans l’herbe, m’installant avec les bras sous la tête.

« Honnêtement ? J’aimerai parcourir le monde avec mon équipe de voleyball et gagner des trophées à ne plus savoir quoi en faire. Mais bon, comme je suis boursier, il va peut-être falloir que je croupisse ici quelques années avant de pouvoir décoller. Je ne sais même pas trop comment ça fonctionne, leur système, d’ailleurs. »

Je sais qu’Indra s’y connait franchement bien en matière de juridisme et tout ce qui va avec. Du coup, il est très certainement beaucoup plus informé que moi de ce qui est sur le point de me tomber sur le coin de la gueule. Enfin, d’ici quelques années quoi. Mais ça passe vite, tout ça. Je ne suis pas suffisamment rêveur pour me dire que ‘ça va j’ai encore largement le temps !’. Non, le temps je ne l’ai pas, justement. C’est ce qui me fait défaut.

« Dix ans c’est beaucoup trop, ouai. C’est mort je ne peux pas rester ici pendant une décennie sans bouger avec mon équipe. Bon, dans le pire des cas, je verrais pour négocier avec le directeur pour que je fasse un truc à mi-temps, entre ça et mes compétitions. Ça devrait être jouable je pense. »

Enfin, j’espère très fort plutôt. Mais bon, je vais éviter de me pourrir la tête avec des pensées parasites comme ça. Pour l’instant, le but est surtout de passer une bonne soirée avec mon meilleur ami.

Roméo revient à la charge avec sa balle. Bon, à mon tour de la lancer, semblerait-il. Ok, très bien. Enfin, ça ne m’aurait pas posé plus de problèmes que ça si cet abruti de chien savait ce qu’il voulait. Mais impossible de lui faire lâcher sa prise. Et comme je ne m’y attendais pas, j’ai perdu l’équilibre et je me suis vautré… Sur Indra. Pendant que Roméo, lui, était reparti joué un peu plus loin jouer en solitaire avec sa balle. Non mais je vous jure, quel crétin d’animal !

« Désolé Indra, ça va, je ne t’ai pas fait mal en tombant ? »

C’est que je n’ai pas trop envie de lui en avoir retourné une sans le vouloir.

Bon, ça va. Au moins je n’ai pas fait mal à mon meilleur pote. Je m’en serais voulu, même si en soit je ne pouvais pas non plus contrôler ma perte d’équilibre. C’est bien pour cela que ça s’appelle ainsi, d’ailleurs. Bon, je m’égare, le sujet n’est pas là. Je me décale de nouveau sur le côté, me rasseyant dans l’herbe, à la place que je n’aurais jamais dû quitter.

« Désolé. Roméo voulait jouer avec sa balle mais au dernier moment il n’a plus voulu me la rendre et du coup il m’a fait me prendre les pieds l’un dans l’autre. »

Et le voilà qui revient, cet abruti. Il a l’air un peu plus fatigué, déjà. Bonne nouvelle, ça veut dire que cette nuit il va être calme. Peut-être. J’espère. Quoi qu’il en soit il a l’air d’en avoir marre aussi de jouer. Et pourtant je sens la connerie arriver à grand pas. Ce clébard a le donc pour emmerder son monde, même quand ce n’est pas forcément fait exprès – c’est en soit son petit talent, j’ai envie de dire.

Et comme je m’y attendais, il se jete presque sur Indra, non pas pour lui refaire le portrait à grand coups de langues – il aime bien faire ça – mais plutôt, juste, pour se coucher sur lui. Comme si avoir un coussin de vingt-huit kilos sur le torse c’était le délire de tout le monde.

« Roméo ! Mais fiches lui la paix putain ! »

Il me fatigue, mais il me fatigue…