Lily-Rose va mieux. Elle ne va pas bien, mais elle va mieux. Elle se sent toujours perdue, mais l’appel de ses parents et la visite à Etoile lui ont fais du bien. Le personnel de l’hôpital était d’accord et lui avait annoncé qu’elle pouvait sortir. Lily-Rose libère une chambre. Remet ses affaires. Erre dans les couloirs. Où aller maintenant ? Où traîner le fauteuil que l’hôpital lui a donné ? Le sien a brûlé dans l’incendie.

Avec ses affaires.

Avec ses vêtements.

Avec ses cartes du ciel.

Dire que Lily-Rose n’est a Blenheim que depuis deux mois et tout a déjà disparu. Pfff. Partit en cendre. Où va-t-elle loger ? Avec quoi va-t-elle s’habiller, travailler ? Il faut tout racheter. Peut-être, sans doute, l’école dédommagera les élèves et le personnel. Est-ce que ça suffira ?

Et puis il faut reconstruire. Dortoir. Réfectoire. Lily-Rose ne veut plus d’une chambre à l’étage.

Lily-Rose a l’impression d’être revenu en arrière. Trois ans en arrière. Après le poids-lourd. Après l’accident du bus. A la sortie de l’hôpital, il avait fallu rentrer à la maison en voiture. Elle n’avait pas put. Lily-Rose n’avait pas put monter dans la voiture. Dans aucun véhicule. Ca avait été trop.

Lily-Rose ne dit pas qu’elle a peur du feu maintenant. Pas totalement. Mais elle dépend d’un ascenseur, à l’étage. Un ascenseur, ce n’est pas fiable, et Lily-Rose ne peut pas prendre les escaliers. Que l’ascenseur.

Celui de l’hôpital sonne, s’ouvre, et elle n’est plus seule avec ses pensées à l’intérieur. Un visage familier l’a rejoint.

« Oh, bonjour. Tim, c’est ça ? » Elle croit se souvenir de son nom, elle croit se rappeler de son visage.

C’était avant l’incendie.

« Tu as été autorisé à sortir ou tu rends visite à quelqu’un ? »

Oublier l’incendie. Oublier l’ascenseur.

Oublier que, peut-être, Lily-Rose va partir.

Lily-Rose ne s’est pas trompée. Un léger sourire flotte un instant sur ses lèvres à la réponse, et elle secoue la tête.

Presque. « Presque. C’est Lily-Rose. » Mais Rose ça marche aussi.

Et Lily ça marche aussi.

« ...Je sors. Et toi ? Tu vas… Bien ? » Lily-Rose lève les yeux un court instant sur le pansement posé sur son visage. Il semble s’en être sortie un peu moins bien que toi.

« Je sors aussi. Je m’en suis bien sortie. » Silence. « On m’a sauvé à temps. »

« On t'a sauvé ? Ah. ...T'étais dans le dortoir... » Lily-Rose hoche la tête. Ses mains se serrent sur ses roues. Les flammes sont toujours là, elles dansent derrière le mur de son calme. « Comment t'es descendu ? M.Perrault ? Il me semble l'avoir vu remonter à un moment ce con de prof. »

Lily-Rose lève les yeux vers lui. Fronce les sourcils. « Tu étais aussi dans le dortoir ? » Du toute évidence, s’il sait que M. Perrault était remonté, c’est qu’il devait y être, et non pas dans le refectoire.

« C’est Etoile. Elle m’a porté sur son dos. » Et ça l’enrage. Elle s’était sentit si faible. Terrifiée et impuissante. Si seulement elle avait eut ses jambes. Si ses jambes n’avaient pas été ce poids mort, elle aurait put aider, elle aurait put sortir tout de suite. « M. Perrault est bien remonté, mais il s’est fait écraser par une poutre et- »

Lily-Rose s’arrête. Pâlit. La voix bloquée. Que dire ?

Et un élève a mit le feu à la poutre. L'a brûlé.

Apparemment, lui aussi était dans le dortoir. Dans l’autre étage, sans doute.

La voix se bloque dans la gorge de Lily-Rose. Les mots ne veulent pas sortir. Parce qu’ils sont irréalistes ?

Il ne me croira pas.

Qu’est-ce qu’elle est censé dire maintenant ? Ce qu’elle a vu ? C’était trop surnaturel. Quel élève mettrait le feu à quelqu’un d’autre ? Lily-Rose ne sait pas ce qu’elle est censé en penser. Ca ne semble pas vrai, pourtant elle est certaine de l’avoir vu. Oui, il y avait de la fumée. Oui, elle paniquait à ce moment-là. Mais elle n’avait pas rêvé, merci bien.

« ...Et ? ..Ça ne va pas ? Il n'est pas foutu quand même ? » Lily-Rose recentre son regard sur Tim.

Foutu ? Qui ? De quoi il parle ?

Lily-Rose doit remonter le fil de la conversation. Ah. Le professeur. Elle secoue la tête. « Non non. Il n’est pas…foutu. Il a été pas mal brulé, mais il semble bien s’en remettre. » C’était ce qu’on lui avait dit. Et elle veut le croire. « ... Tu te sens mal ? »

Lily-Rose aurait préféré. Mais non. Ou si. Elle ne sait pas. Elle hésite. Lui dire ou non ? Elle ne connait personne ici. Elle n’a personne à qui elle pourrait se confier. Elle n’a que ce qu’elle a vu, et rien d’autre.

Est-ce qu’Etoile l’a vu ?

Non. Elle n’était pas là à ce moment. Juste elle. Elle soupire. « Je ne sais pas. » Sa voix a les accents de l’agacement. De ces moments où elle se sentait impuissante et détestait ça. « J’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose d’étrange, mais ça a l’air trop. »

Illogique. Irréaliste. Surnaturel. Irréel. Faux. Effrayant. « Absurde. »

La porte de l’ascenseur s’ouvre. « Ah ? Tu veux dire plus étrange qu'un incendie venu de nul part ? » Lily-Rose sort en premier, faisant avancer son fauteuil tout en murmurant –ou en grommelant- un vague oui. « Raconte, en le disant a voix haute, tu réaliseras peut-être si c'est vrai ou trop perché. »

Lily-Rose fait pivoter son fauteuil dans un geste plein de savoir-faire, le temps de lever les yeux vers Tim. Pourquoi pas, ça ne changera sans doute pas grand-chose, si ? « J’ai vu un étudiant mettre le feu au professeur. »

Oh, c’était peut-être un peu brut de décoffrage dit comme ça.

Au moins, la pilule passera rapidement. Normalement.

Bon. A voir la réaction de Tim, Lily-Rose a peut-être été un peu…brutale. Mais sincèrement, elle ne voyait pas non plus comment elle aurait dut annoncer ça avec délicatesse.

Un élève a prit un briquet et l’a utilisé pour enflammer la poutre qui couvrait le prof. Et pour enflammer le prof au passage.

Oh. Elle aurait peut-être put le formuler comme ça, c’est vrai. La prochaine fois peut-être. « Un étudiant faire quoi ? » Lily-Rose retient un soupire. Oui bon. Elle sait qu’elle a été un peu trop franche pour le coup. Navrée. « Mettre le feu à monsieur Perrault. »

Et Lily-Rose refait tourner son fauteuil pour reprendre le chemin vers la sortie. « ...Est-ce que... » Elle tends l’oreille, ralentit son allure. Oui ? Il était blond cet étudiant ? » Lily-Rose hausse un sourcil. La question a de quoi être intrigante et sous-entends : 1) il croit sa parole sans la remettre en doute, 2) il connait peut-être l’identité de l’étudiant, or pour ce faire il faut que 3) qu’il sache qu’un étudiant potentiellement psycho se balade dans l’école.

Lily-Rose décide de ne pas se pencher sur ces hypothèses à moins d’une confirmation. Oui. Pourquoi ? » Parce que des étudiants blond à Blenheim, il y en a beaucoup.

La conversation semble avoir prit une étrange direction, mais Lily-Rose préfère ne pas s’arrêter dessus. Pas tout de suite. Plus tard peut-être. Sans doute.

Elle n’obtient pas de réponse. Ou en tout cas, rien que ne fasse office de réponse. « Blond... Faux blond.. ? Environ... Cette hauteur ? » Okay. Il avait définitivement une idée de personne dans la tête. Qu’est-ce que Lily-Rose est censé en penser ? Elle évalue la hauteur qui lui ait montré. Essaye de se souvenir avec précision de ce moment, dans le couloir en flamme.

Une grimace pince ses lèvres. Ce n’est pas agréable. Le moment où Lily-Rose trouve le professeur. L’arrivée d’Etoile, puis du garçon. Le moment où il l’enflamme. Et rit. Oh bon sang, pourquoi est-ce qu’elle se rappelle de son rire ? Ne peut-elle pas se rappeler d’autre chose à la place ?

« Il me semble oui, que c’était un faux blond. Je ne sais pas trop pour la hauteur. » Ca à l’air de lui tenir à cœur, mais Lily-Rose ne peut pas trop l’aider. Même en cherchant dans sa mémoire. « Etoile était là aussi, après. Elle avait l’air de le connaitre. » C’est ce qui lui avait semblé, et lui semble encore. Elle pourra sans doute l’aider d’avantage.

Lily-Rose n’obtient pas de réponse. Pas dans l’immédiat. Il lui faut attendre que Tim sorte son portable dans un but connu de lui seul tout d’abord. Jusqu’à ce que Lily-Rose ne se retrouve avec une photo sous le nez, et cette étrange impression d’être le témoin oculaire d’un crime auquel un policier demande d’identifier le coupable parmi une série de photographie.

Sauf que là, il n’y en a qu’une.

« C’est lui ? Alors ? » Alors Lily-Rose s’oblige à regarder attentivement, jusqu’à n’avoir pas de doute. Elle soupire. « Oui, c’est lui. »

Pourquoi tu as une photo de lui dans ton portable ? « Tu le connais ? »

Question plus ou moins rhétorique.

Et cette conversation est de plus en plus surréaliste à son goût.

Lily-Rose fixe Tim d’un regard interrogateur. Et Lily-Rose hausse un sourcil dubitatif à la vue de son sourire. Crispé et flippant. Okayyyy. C’est de plus en plus rassurant tout ça. « Oui. Pour mon immense joie et bonheur, je le connais. » Avec une telle dose de sarcasme, Lily-Rose s’attends presque à voir le sol ou les murs fondre. « Il s'appelle Connor, s'il crevait dans un caniveau, ça serait super. J'arrive pas à croire que ce salopard a foutu, tu dis quoi ? Le feu à Benjamin. Putain. Je vais lui démonter le reste de sa mâchoire. Et toi, il t'a fait quelque chose ? Il a essayé de faire quelque chose ? »

Lily-Rose cligne des yeux un instant devant ce soudain revirement. Oh. Elle secoue la tête. « Non, il ne m’a rien fait. En fait, je ne suis même pas sûre qu’il m’ai remarqué. » Ce qui n’était définitivement pas plus mal. Lily-Rose préférait de loin être descendu du dortoir sur le dos d’Etoile que sur le dos de…Connor, donc.

Lily-Rose se mord les lèvres un instant, les mots hésitent à franchir sa bouche. « Je suppose… Que pour m’avoir cru et pour l’avoir soupçonné aussi vite, c’est que ce n’est pas la première fois qu’il a un comportement peu. Conventionnel. » Ô doux euphémisme.

L’esprit raisonnable de Lily-Rose semble s’être fait la malle. Partit loin en vacances, pour un tour du monde peut-être. S’il peut revenir avant quatre-vingt jours ça serait cool. Lily-Rose a besoin de lui. La preuve en ait, elle est en train de discuter de la dangerosité d’un individu, témoignage à l’appui, dans une ambiance carrément sortie d’une série policière.

Aled. Lily-Rose tombe dans la quatrième dimension.

Et ça ne s’arrange pas. « Ah ?! La première fois que je l'ai vu, il m'a menti en disant qu'il n'y avait plus de pansements pour pouvoir me recoudre la main sans anesthésiant ! Son petit kiff personel. » Ah. Ah oui. D’accord. Lily-Rose fait les gros yeux. Et le doute s’installe. Tim doit la faire marcher. C’est que ce pense son esprit rationnel –qui lui n’est pas partit en vacance. Au-delà de la simple probabilité que ce soit possible, c’est que c’est plus simple de penser ainsi.

Il est plus simple et rassurant de penser que, nope, c’est une blague en fait. Mdr. « Il doit adorer le sang. Et c'est qu'un exemple. Ce type est un malade ! C'est un manipulateur. J'aurais dû savoir qu'il était encore plus dingue que je ne pensais. Tch. Fait chier tient. ...Désolé pour toi. » C’est plus simple, mais Lily-Rose ne croit pas crédible qu’il s’énerve autant pour une blague.

Donc ça doit être vrai, non ? Lily-Rose sursaute légèrement lorsque Tim frappe le sol. Wow. Calm down stp. « Moi ça va. A part un mauvais souvenir je m’en sors bien. » Elle ne peut s’empêcher de jeter un regard sur ses mains, à la recherche de traces de la suture. « C’est plutôt moi qui suis désolée pour toi… »

Le regard de Lily-Rose ne passe pas inaperçu. Dommage. Une main se tend vers elle. « Celle-ci. Tu peux chercher, on ne voit pratiquement plus rien. Il est doué. » En effet. Tellement que Lily-Rose finit par prendre la main pour regarder, avant de la relâcher. Oui, son esprit scientifique la pousse parfois à empiéter sur l’espace personnel des autres. Rarement, à cause de son fauteuil, mais ça arrivait.

« C’est vrai qu’il faut le savoir pour la voir… » Pas le plus simple pour s’en plaindre. « Un mauvais souvenir... Que ferais-tu si tu le recroisais dans un couloir alors ? À jouer les innocents. Au moins, il est salement arrangé, ne peut ni parler, ni marcher. »

Lily-Rose réfléchit. Qu’est-ce qu’elle ferait ? Elle ne sait pas, elle n’y avait pas pensé. Mais maintenant sans doute qu’elle fera  un bon détour pour ne pas avoir à passer juste à côté de lui. Au cas où. On ne sait jamais. « Je vais l’éviter. On ne tente pas le diable. »

Lily-Rose hausse les sourcils en entendant des nouvelles de sa santé. « Ha ? Qu’est-ce qui lui est arrivé ? »

Pourquoi Lily-Rose demande ça ? Oh pour savoir si elle allait devoir fait attention dés son retour à Blenheim ou si elle avait droit à un peu de repos. Et puis Tim a eut l’air satisfait en annonçant la nouvelle. Lily-Rose est curieuse de nature. « ... Il s'est pété la mâchoire. Et la jambe. » Et il a l’air satisfait.

Lily-Rose ne va pas le contredire. Ni dire quoi que ce soit. Elle hoche simplement la tête.

Quand il décide finalement de recommencer à marcher, elle le suit dans le silence grinçant de son fauteuil. Jusqu’à finalement sortir de l’hôpital. Puis soudain. « Tu va retourner à Blenheim ? »

« Oui. Il y a peut-être eu des arrangements pour les chambres et si non, il y a un hôtel pas loin. Et toi ? » Donc il rentre à Blenheim. Lily-Rose, elle, ne sait pas. Pas encore. Elle y réfléchit toujours. Y retourner ou partir ? Retraverser l’Atlantique. C’est quelque chose sur laquelle elle a besoin de se pencher. Car d’un côté il y a cet accident qui aurait put lui couter la vie. De l’autre il y a son rêve et l’endettement de ses parents.

Ses parents ne diront rien si elle rentre. Lily-Rose le sait. Parce qu’ils comprendront. Parce qu’ils ont eut peur eux aussi. Pour elle. Lily-Rose sait que si elle monte dans le premier avion pour San Francisco sans y réfléchir, elle le regrettera. Beaucoup. Elle soupire. « Je ne sais pas. Je vais y retourner pour l’instant, voir quelques jours. Je verrais après. »